dimanche 3 février 2019

Le jour ou on se connectera à son médecin

En 2016 GreenSI écrivait que le prédictif était la vraie rupture dans la e-santéMais ce prédictif ne pourra passer à l'échelle que si la relation patient-médecin se numérise. Car c'est une chose de prévoir un risque, c'en est une autre de confirmer le risque et d'agir.



Les relations numériques se sont, lentement, mais bien développées entre les acteurs de la santé, notamment avec la carte vitale, les messageries sécurisées et les transmissions d'examens des laboratoires aux médecins traitants. Elles restent cependant marginales entre le médecin et le patient.

Fin 2018 la France a quand même fait un pas timide vers la télé-médecine, qui peut être vue comme une première relation patient-médecin dématérialisée. Le rendez-vous par internet avait ouvert la voie avec une relation patient-secrétariat du médecin, là c'est le médecin qui sera connecté au patient.

Les startups du secteur, comme Doctolib, sont en train de s'y engouffrer pour faire sauter cette règle ancienne que "d'aller consulter un médecin" et non "de se connecter pour consulter son médecin". 

Pour GreenSI, ce développement du numérique dans la santé, qui pourrait être vu comme un progrès technologique amené par les réseaux, est en fait une révolution autour de l'humain et de ses relations.

Dans les domaines où le numérique se développe, l'humain revient rapidement au centre du jeu. Par exemple, avec les démarches de design thinking qui mettent l'utilisateur au centre pour la création de valeur, ou avec l'expérience utilisateur qui est omniprésente dans les démarches de conception et de pilotage du numérique. La prise en compte du facteur humain est donc essentielle pour imaginer à grande échelle les dispositifs nécessaires à l'évolution du système de santé. 

C'est pourquoi GreenSI est allé chercher une étude de Viavoice, réalisée pour le compte du groupe mutualiste VYV (Harmonie, MGEN,...), pour comprendre la perception, par les français, des progrès du numérique dans la santé (observatoire de la santé du futur).

Dans cette étude on trouve d'abord un résultat à contre-courant des idées reçues : pour 59% du grand public et 53% des médecins, l'un des principaux espoirs perçus par les français est le progrès de la génétique, couplé à une médecine prédictive. Et ils ne sont que 18% à déclarer l'inverse.

Donc non seulement les français sont favorables à l'analyse de leurs données de santé pour mieux prévoir l'apparition de certaines maladies, mais ils le sont également pour que l'analyse de leur ADN permette de mieux cibler ces maladies en fonctions de leur probabilité d'apparition.
Une vision qui semble très censée. Pourtant cette vision n'est pour l'instant pas possible en France !


En effet, rappelons que l'analyse ADN est interdite en France depuis 2004 (loi bioéthique), sauf dans 3 cas (justice, recherche, maladies rares) et que les sociétés qui en proposent, s'exposent à des sanctions, mais aussi ceux qui les demandent !
Dans les faits il est estimé que 100.000 français font appel chaque année à des services d'analyse ADN à l'étranger, pour l'instant à des fins généalogiques.

Ceci pose d'ailleurs un second problème légal, celui de la conformité des traitements de ces sociétés étrangères, en regard du RGPD, pour des services qu'elles ne sont pas censées produire... 

23andMe est l'une de ces startups américaines à mettre sur votre radar de l'innovation.

Elle a levé $250 millions en 2017 pour internationaliser son service. Elle réalise ces tests en 2 à 4 semaines pour $99, incluant les tests génétiques, mais elle limite la diffusion de des résultats en fonction des pays. En France seules les données généalogiques sont disponibles (disons interdites mais tolérées). Les données de santé ne sont pas divulguées, même si le prix du test est le même qu'aux États-Unis. On est prévenu avant de passer commande.
Via le circuit médical c'est pareil.  Je me souviens avoir payé un examen non remboursé pour tester une maladie rare (au cas où) mais seul mon médecin en a eu les résultats.

Sur l'ADN et le potentiel de l'IA et de l'analyse des données, cette étude montre donc un écart de perception entre le grand public et ceux qui veulent les protéger par des lois qui sont contournées par les patients eux-mêmes ! Pour les médecins les risques sont ailleurs que dans l'interdiction du test et notamment 66% pensent qu'il sera plus difficile à l'avenir de faire respecter le secret médical avec le développement des nouvelles technologies.

Le paradoxe français, ou l'exception culturelle si on préfère, est quand même que les tests ADN et l'IA sont perçus comme des progrès par le grand public, alors que les consultations à distance sont pour 41% du grand public et 43% des médecins une source d'inquiétudes. Pourtant les usages à distance sont généralisés en France, par exemple avec les banques, mais ceci montre que ce n'est pas un problème de technologie mais bien de relations entre humains.



Les médecins y voient une "déshumanisation" de la médecine et pensent que la relation médecin-patient va se détériorer dans les années qui viennent. Cette perte de confiance des patients vis-à-vis des médecins pouvant développer des pratiques d’automédication.
La transformation digitale du secteur de la santé doit donc certainement mettre en avant de façon prioritaire l’idée que le numérique facilitera la communication entre médecins et patients, et permettra par ailleurs un gain d'efficacité. La technologie suivra.

Au niveau des équipements du grand public, 21% ont déjà des applications de santé sur leur smartphone, et 17% ont déjà essayé un objet connecté. Plus on est jeune, plus ces chiffres sont élevés. Mais ce taux d'équipements se développe aussi avec l'émergence d'objets connectés de plus en plus sophistiqués (une montre électrocardiogramme attendue pour 2019 - Apple et Withings) et, on y reviendra, des casques de réalité virtuelle personnels.
Au niveau des infrastructures de mise en relation, pour le grand public, les acteurs les plus légitimes pour investir et soutenir le développement de la télémédecine et des outils numérique en matière de santé sont d'abord l'État (70%), puis les mutuelles (52%) et les laboratoires (41%). Les startups et les GAFAs, et même les banques, ne sont pas vus comme légitimes (entre 10% et 16%).

La réalité de l'offre est tout autre. L'État est très lent dans ses développements (cf. Dossier médical et Carte vitale), les mutuelles se sont assoupies pendant des années sous la dominance de la sécurité sociale. Elles se réveillent aujourd'hui dans un monde digital où on leur demande d'être en première ligne tout en maîtrisant leurs tarifs. Sauront-elle relever ce défis ?

En revanche les startups et les GAFAs investissent et mettent les bouchées doubles.
La levée de $250 millions de 23andMe donne le La. Côté "plus gros bras", Apple pousse sa montre connectée et sa virginité pour traiter des données personnelles en s'éloignant de Google et Facebook, Amazon a racheté Pillpack la startup qui réinvente la pharmacie et Best Buy - le Fnac-Darty américain - a racheté GreatCall, le spécialiste de la télésurveillance médicale. C'est un peu la vision de la garantie Darty qui s'appliquerait aussi à vous ;-)



Et puis le champ d'exploration américain est très large et peut révéler des pistes à peine explorées en France.

NatureTreck est une application de balade immersive dans la nature, via un casque de réalité augmenté du commerce. Cette application cartonne avec une note de 5 étoiles donnée par ses utilisateurs. Son impact immersif est tel qu'elle réduirait les douleurs chroniques dont certains peuvent souffrir !
Cela peut intriguer, mais la réalité virtuelle est déjà utilisée médicalement en cabinet par des kinésithérapeutes pour améliorer ses gestes en rééducation, en mesurer les progrès mais aussi dans les traitement de prise en charge de phobies (peur des escaliers, araignées...). Des médecins américains souhaiteraient donc prescrire de la réalité virtuelle personnelle plutôt que de prescrire des opioïdes (un fléau aux États-Unis avec des dizaines de milliers de morts par overdose de médicaments), aux patients souffrant de douleur chronique, de la même manière qu’ils orientent maintenant les patients vers une thérapie physique.

La France est fière de son système de santé et se classe dans les 20 meilleurs mondiaux (ex. index annuel mondial sur la prospérité) quand les États-Unis sont 20 places plus bas. L'avenir nous dira si le numérique peut chambouler ce classement.
Mais ce qui semble sûr, c'est que l'humain restera au cœur et qu'il faut rapidement résoudre en France ce blocage autour de la télémédecine pour la faire évoluer d'une simple consultation à distance, à une connexion permanente avec un système de santé qui ira jusque dans les domiciles.
Cette vision converge d'ailleurs avec un autre sujet où le médical est impliqué, le scénario d'évolution des EHPADs pour ce qui concerne la prise en charge de la dépendance (voir billet), mais aussi avec l'évolution des réseaux et notamment de la 5G avec sa faible latence qui permet de piloter des appareils à distance.
Les français sont donc prêts pour l'IA et l'analyse de données, mais la relation patient-médecin reste à réinventer avec une santé qui va aussi bénéficier de l'essor de la technologie du grand public, pas toujours pris en compte par nos administrations.
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