dimanche 17 février 2019

Google poursuit Amazon dans la maison connectée

Il y a exactement 2 ans, Google annonçait une version (preview) d'Android Things, son futur système d'exploitation de l'internet des objets et plus tard confirmait cette ambition au CES 2018 et à la dernière conférence développeur Google I/O

Android Things est une solution complète qui offre, aux développeurs Android un environnement de construction (Android Studio) de produits connectés à internet (IoT) avec des applications embarquées dans des processeurs certifiés. Ces applications rendent des appareils "intelligents" en bénéficiant des API Android, des services Google et surtout de l'infrastructure back-end Google Cloud. Depuis, l'assistant Google a été intégré pour donner la parole à ces appareils et étendre l'écosystème Google Home. Parler à votre grille-pain ou à votre frigidaire n'aura jamais été aussi proche ;-)

En mai 2018, après plus de 100.000 téléchargements du kit de développement (SDK) et une communauté annoncée de plus de 10.000 développeurs, Google a proposé officiellement Android Things 1.0 à sa conférence Google I/O.
La promesse de cette stratégie est double :
  • Laisser les concepteurs se concentrer sur leur produit et l'expérience utilisateur, en gérant pour eux l'infrastructure,
  • Leur donner la capacité de pouvoir ensuite les déployer à grande échelle.
Une telle approche qui diminue pour les créateurs le coût de R&D à l'entrée des produits intelligents et autonomes, promettait de booster fortement l'innovation dans la maison intelligente. Les démonstrations lors de Google I/O allaient des projecteurs intelligents, aux fleurs connectées en passant par des robots pour jouer à pierre-feuille-ciseaux.
C'est donc avec une certaine surprise que cette communauté a appris la semaine dernière, via un billet de blog, qu'Android Things était désormais une plateforme réservée pour les partenaire OEM de Google, centrée sur les haut-parleurs intelligents et les écrans intelligents, et donc en limitant la prise en charge des modules basés sur d'autres matériels (NXP, Qualcomm, Raspberry Pi...) non centrés sur ces usages.
Fini le rêve du grille-pain connecté, ou alors mettez lui un haut-parleur à l'intérieur !

Ils peuvent encore utiliser le SDK comme plateforme d’expérimentation, mais à des fins non commerciales, puisque le nombre d'appareil enregistré est limité. Une décision qui est un changement stratégique pour Google moins de 10 mois après le lancement de la V1.

GreenSI analyse ce revirement de 3 façon.

D'abord, il nous rappelle que la politique des GAFAs qui fixent leurs propres contrats d'usages de nouvelles plateformes "à prendre ou à laisser", est risquée pour une entreprise qui aurait investi ces derniers mois dans la sortie d'un projecteur connecté intelligent, maintenant interdit.

Quand c'est gratuit c'est vous le produit, nous dit l'adage. En l'occurrence c'est vous le testeur de la plateforme (qui la fiabilise pour Google) et le fournisseur d'idées pour ses futurs usages. 

Car derrière la communauté de développeurs Android, il n'y a pas que des freelances qui veulent tester leur talent, mais certainement des entreprises qui testent de nouveaux produits. Ces entreprises doivent avoir des attentes alignées avec ce risque et avoir une démarcation claire entre la phase d'expérimentation, dans laquelle on peut prendre plus de risques, et la phase d'industrialisation, où la portabilité de ses innovations devient plus forte.
En second lieu, ce revirement rapide montre que l'encre de la feuille de route de la stratégie de Google vis-à-vis de l'IoT n'est pas encore sèche.


La plateforme Android Things pouvait être vue comme la fourniture d'une plateforme gérant également des solutions matérielles clé en main que Google auraient poussées, tout au moins validées, dans de multiples domaines. Une façon de répondre à Amazon qui joue au maximum la carte de l'OEM, et s'appuie aussi sur sa maîtrise de son infrastructure Cloud avec AWS. En se recentrant sur les haut-parleurs et les écrans, des catégories où Google a déjà son propre matériel, il restreint son écosystème par rapport au leader actuel Amazon (source Voicebot étude septembre 2017). 

Mais Google développe aussi Google Cloud IoT Core qui propose une connectivité sécurisée des périphériques à grande échelle. Il a récemment annoncé Cloud IoT Edge pour gérer les données locales et développer des applications intelligentes.

Est-ce que l'architecture des futures plateformes IoT sera totalement centralisée ? Cela reste à démontrer avec le développement rapide du "Edge computing" et de serveurs locaux. En tout cas ce n'est pas l'approche du Cloud IoT de Google, au moins pour le stockage et l'analyse des données jusqu'à l'IA (Tensorflow), surtout quand il s'agira de vidéos, à la fois riches en Go et en données personnelles. C'est donc peut être plus la stratégie technique qui est remise en cause, que la stratégie business, pour contrer celui qui est son seul vrai rival, Amazon. 

Enfin ce revirement est la confirmation que les assistants vocaux et les écrans intelligents sont bien les piliers de la "smart home" pour les années qui arrivent.

Google et Amazon sont pour l'instant les maîtres de cette nouvelle porte de l'internet. Amazon ayant le plus de partenariats de marques pour piloter leurs équipements de la maison, notamment Sonos et même Nest, le thermostat connecté de Google ou un micro-onde qu'il commercialise.
Qui pour rattraper ces deux leaders de la domotique de demain ? Plus grand monde !

Microsoft qui un temps a poussé Cortana en tant qu'assistant autonome, a annoncé en début d'année en faire un complément pour d'autres assistants et surtout pour sa propre plateforme Office 365 où il peut plus facilement l'imposer aux abonnés de son service sans rentrer dans la course à la vente d'une enceinte connectée.

Apple, pourtant parti en premier avec Siri, cherche encore à craquer le code de l'assistant vocal. La semaine dernière Apple aurait racheté PullString, une startup créée par des anciens de Pixar basée à San Francisco, qui a créé des outils permettant de mettre au point des applications vocales pour l'assistant Alexa d'Amazon et plus récemment pour Google Home. C'est PulString qui a fait par exemple l'interface Hello Barbie des poupées du même nom. Des compétences dont aura besoin John Giannandrea, le nouveau VP de Siri pour "l'apprentissage automatique et la stratégie en matière d'intelligence artificielle" qui a la lourde tâche de remettre Apple sur les rails des assistants domestiques. 

Les chinois AlibabaBaidu et Xiaomi ne sont pas à négliger et ils auront sans aucun doute la domination de leur marché intérieur. Mais les américains ont encore une longueur d'avance sur leur propre marché. Peut-être que l'Europe, plus en retard, pourra départager cette compétition sino-américaine qui s'annonce.

En Europe il y a Djingo d'Orange. J'en ai vu personnellement une démo il y a deux ans connecté à un Cookeo de SEB, et le site d'Orange nous vante ses mérites, mais elle ne sera commercialisée qu'en 2019. Le risque d'arriver trop tard est grand pour Orange, dans un écosystème en construction avec qui il faut tisser le plus liens, le plus rapidement. Par mesure de sécurité Djingo intègre Alexa d'Amazon...

RGPD oblige, la startup Snips (française) qui produit une technologie d'assistant vocal (sans enceinte) dit avoir un avantage sur Google et Amazon dans l'Union européenne car elle ne sauvegarde aucune donnée récoltée, contrairement aux enceintes connectées des deux géants de la Silicon Valley. Est-ce que cela suffira a faire émerger un géant européen ? Peut-être un puisque cette société est dans la liste des licornes potentielles, mais pour GreenSI c'est plutôt une balle dans le pied de ses champions que l'Europe s'est tirée. L'avenir nous dira si Snips sera obligé de délocaliser sa R&D en Chine ou aux États-Unis, pour avoir les données nécessaires au développement de sa technologie.

Sur ce marché de la maison connectée, les usages commencent à émerger et les brevets déposés nous donnent une idée d'où ils peuvent se développer. L'étude d'Adobe "State of voice assistants" nous donne un éclairage sur 2018 et les États-Unis où il y a 120 millions d'assistants connectés. La majorité des requêtes concernent encore la musique - incluant les podcasts et la radio - et les prévisions météos. Mais des requêtes pour piloter sa maison connectée (prises, lumières, ...) ont déjà été essayées par 30% des utilisateurs et sont en croissance.

A l'intersection des fonctions de confort centrées sur l'individu (musique, rappels,...) et de la maison connectée, on trouve la eSanté, car la maison et ses capteurs peuvent aider à gérer sa santé au quotidien. Amazon a déposé un brevet pour l'analyse de la voix afin de détecter les premiers signes de maladies ou de déprime. Google lui a déposé un brevet pour un capteur optique toujours actif dans la salle de bain (miroir) qui enregistre des données cardiovasculaires. GreenSI pense que la eSanté sera le prochain domaine en fort développement. Il s'inscrit dans la tendance de la reconfiguration de la télémédecine et de la relation entre patients et médecins qui faisait l'objet du dernier billet.
Dans cette maison connectée, Google, et maintenant Amazon après son rachat la semaine dernière de Eero, voudraient pouvoir connaître les usages internet qui ne passent pas leur assistant. Ils ont donc une offre de répéteurs Wifi et de routeurs qui s'insèrent entre vous et votre box internet et proposent un maillage Wifi "sans ombre" de partout dans votre domicile, ce que votre box ne peut pas faire.

Et puis on ne change pas une équipe qui gagne. Google Maps a été la killer application de l'internet mobile. Le partenariat de Google avec iRobot, qui fabrique des aspirateurs intelligents, a pour objectif de cartographier votre maison pendant que ces derniers passent l'aspirateur.

Ces données géographiques contextuelles une fois acquises, permettront de simplifier la communication avec les assistants qu'il faut configurer pour expliquer par exemple le concept de "lampe du salon" que vous voulez éteindre.
Ensuite ce sera vous que l'assistant cherchera à reconnaitre par la voix cette fois-ci pour contextualiser vos demandes et aller vers une expérience très personnalisée. L'intelligence artificielle c'est quand même plus simple quand on a les données de contexte.
Enfin la sécurité est aussi une zone de fort développement, avec des équipements qui renforcent la sécurité du domicile comme la serrure d'Amazon ou la protection Nest de Google, mais surtout avec des authentifications qui vont devenir de plus en plus biométriques. Un piratage majeur ou une violation de données sera malheureusement inévitable dans le contexte d'un écosystème interconnecté très large, ce qui en multiplie mathématiquement le nombre de portes d'entrées...
2019 s'annonce une année de fort développement pour ces assistants et certainement une année charnière pour Google.
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