Les hasards du calendrier sont ce qu'ils sont. Au lendemain de la keynote d'Apple qui a dévoilé la quatrième mouture de sa montre connectée visant le marché de la santé de demain, la sécurité sociale annonce le remboursement de la télémédecine et le Président de la République nous révèle "la révolution des outils numériques qui vont personnaliser les soins de chacun". Le contraste est saisissant...
L’Assurance maladie a donc décidé de prendre en charge les consultations médicales par visioconférence dans le cadre du parcours de soins. Une décision murie pendant au moins 10 ans car les technologies présentées datent de la révolution précédente, celle de la visioconférence déjà bien installée dans toutes les entreprises et même dans les foyers des grands parents qui gardent le contact via leur smartphone avec leurs petits enfants.
Les lecteurs de GreenSI savent que la technologie n'est rien sans un usage. Cet usage ce sera la désertification médicale galopante qui aura finalement été choisi pour que le mot "télé" rentre dans le vocabulaire de notre système de santé.
C'est certainement une bonne nouvelle pour les plateformes de 'télémédecine' dont l'offre était jusqu'à présent limitée à la prise de rendez-vous, à la vente de quelques produits ou au contenu. GreenSI compte sur elles pour réinventer le suivi médical à défaut de pouvoir encore le disrupter. Mais c'est encore un tout petit pas pour avancer vers la e-santé.
Cette décision reste prudente puisque la consultation en vidéoconférence est facturée au même tarif qu’une consultation physique en cabinet et que la répartition de la prise en charge entre la Sécurité sociale et les mutuelles est également inchangée. Comme pour le livre numérique vendu au prix du livre papier en France (6 fois moins aux État-Unis), on a l'impression qu'une dose homéopathique de numérique a été administrée, sans trop l'aider à se développer, ou même juste de donner un signal pour inciter à se transformer. Au contraire on rappelle les règles strictes du parcours de soins qui elles doivent rester immuables sinon, il n'y aura pas de remboursement...
Pourtant, il ne doit pas être trop compliqué de démontrer, par exemple, que les coûts de la vidéoconférence sont inférieurs et surtout que son bilan carbone est lui excellent quand le patient est équipé à son domicile, puisque ni le médecin, ni le patient ne se déplacent.
En même temps, le Président de la République appelle à reconstruire "un système autour du patient dans un parcours de soins fluide et coordonné" et pour cela nous rappelle le socle architecturale du DMP - le dossier médical partagé - qui sera donc généralisé dès le mois prochain.
Non, Emmanuel Macron n'était pas en train de commenter la keynote Apple mais bien à l'Elysée pour l'annonce officielle d'un plan santé de 54 mesures pour une "réorganisation collective du système de santé" ;-)
Le DMP, un autre sujet qui aura attendu plus de 10 ans avant de se bonifier, puisque ce projet SI de 2004 était relancé une nouvelle fois en 2014 après avoir englouti des centaines de millions d'euros.
Sur le fond, oui, le DMP sera incontournable. Comme le CRM et sa base unique a été boosté par les centres d'appels qui ont remplacé les visites physiques des clients ou des usagers dans tous les autres domaines. Et on connait la suite avec le développement du "phygical", quand l'expérience client est devenue fluide entre l'internet, les canaux à distance et ceux de proximité.
Apple pense aussi au patient et veut reconstruire un système de santé autour de lui, et lance ses designers dans cette bataille.
Apple a choisi d'être au poignet de ses clients avec de nouvelles fonctionnalité d'ECG - électrocardiogramme - de détection des chutes et le lancement d'alertes téléphoniques, qui ont été annoncées avec la série 4 d' l'Apple Watch. Ce n'est plus le patient qui se déplace mais la montre qui appelle le médecin ou l'assistance une perspective qui sera réservée à ceux qui peuvent investir les 500€ du bijoux à la pomme, mais qui ouvre une rupture dans l'organisation actuelle du système et surtout une plateforme numérique en son centre.
GreenSI avait d'ailleurs abordé en 2016 le prédictif, la vraie rupture de la santé connectée, et mis en avant l'exemple la startup @-health qui travaille sur un T-shirt connecté pour télésurveiller les pathologies cardiaques avec ses algorithmes.
Pour ceux qui crient de suite au loup quand on parle d'un objet connecté personnel, Apple est certainement celui des GAFAs qui finance le plus ses produits par des prix élevés qui peuvent payer le service, par rapport à ceux qui vendent à prix faible et se refond sur la vente de données personnelles.
On voit donc que deux conceptions de la e-santé se profilent, une qui voudrait que le "e-", qu'il soit "télé" ou "données + IoT", ne change rien et que le domaine de la santé reprenne sont cours normal en se modernisant, et puis une seconde qui montre assez simplement que le patient peut devenir acteur et que le numérique change sa relation au système et réorganise les flux d'information dans le système.
Par un autre hasard de calendrier, j'ai assisté également cette semaine à la soutenance d'Olivier Marais, élève en Master Executive SI à l'ESSEC qui travaille également dans le numérique chez HPE. Son mémoire était sur le thème de la transformation digitale dans les EHPAD, ces établissements qui prennent en charge la dépendance, et donc qui coordonnent les soins de leurs pensionnaires.
Le scenario est simple, digne d'un film catastrophe Holywoodien !
Dans moins de 30 ans, la population de plus 85 ans aura atteint 5,6 millions (contre 1,5 aujourd'hui) dont 2,4 millions sera en perte d'autonomie, le double d'aujourd'hui alors que les taux d'occupation des EHPAD frisent le 98% avec des tarifs moyens supérieurs au montant moyen des retraites. Le système a atteint sa limite et le gouvernement a dû sortir en urgence à la fin du premier semestre un plan grand âge pour faire face à l'urgence.
Le financement du doublement des capacités des EHPADs à l'échelle nationale n'étant pas très crédible, retarder l'age d'arrivée en EHPAD - donc rester à domicile - en plus d'adapter le système, parait l'option la plus probable. C'est donc un nouveau cas d'usage pour la e-santé sur ce segment particulier, lui aussi dans une situation à bout de souffle, permettre des soins et une surveillance médicale à domicile. Un cas à la croisée des smart home et de la e-santé.
Cette option est rendue possible par l'innovation technologique, les objets connectés et un nouveau modèle d'EHPAD plus interconnecté aux domiciles des personnes âgées, aux aidants, et a une nouvelle organisation qui répond au problème actuel de la saturation du dispositif.
Dans les expérimentations en cours on a bien sûr la visioconférence, la télémédecine, des capteurs de santé, ou des détecteurs plus atypiques comme l'usage de l'eau ou de l'électricité, qui par analyse fine peuvent permettre de déceler des "glissements de comportement" et alerter des aidants. Sur la modernisation des locaux, un cyber-EHPAD a vu le jour en Normandie à Conches-en-ouche, mais chose également intéressante cet EHPAD a développé un "Living Lab", une des chambres de l'EHPAD, pour tester les nouveaux services, comme dans transformation digitale classique.
Le "design thinking" pourrait donc jouer un rôle clef dans cette transformation puisqu'il ne s'agit pas de produire une solution et de convaincre les patients de l'adopter, mais bien de partir du patient ou du soignant et construire avec lui la solution qui sera prototypée, testée en conditions réelles avant d'être généralisée. C'est peut-être ce "design thinking" qui a manqué à la première version du DMP, qui a échoué sur l'adoption client/médecin et non sur la technologie. C'est également la force d'Apple dans la e-santé.
Certainement encore plus dans la santé que dans d'autres industries, l'humain reste bien au cœur du système et l'empathie essentielle quand la technologie se déploie.
L'avenir de la santé connectée va donc certainement se jouer dans la capacité du système à se réorganiser autour du patient, que ce soit les règles de l'Assurance maladie, les processus ou les modes de fonctionnement des structures de santé, mais également par la capacité à collecter et exploiter les données bien au delà de celles du DMP.
Mais cela ne se fera pas sans système d'information collaboratif au niveau du secteur, le "Amadeus de l'aérien" appliqué à la santé, bien au delà des fonctionnalités du DMP, et c'est peut être ça qu'on ne voit pas dans les plans actuels et qui sera pourtant indispensable pour réussir cette transformation. A suivre...
Le timide pas de la télémédecine vers la e-santé
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