Ce livre est une très bonne synthèse sur ce qui se passe dans les entreprises autour du digital ; il ouvre également des fenêtres sur la suite de cette disruption avec l'intelligence artificielle. Il est préfacé par Laurent Alexandre, un autre profil atypique qui évangélise dans le domaine de l'intelligence artificielle, après avoir commencé sa carrière comme chirurgien-urologue.
La question de ce billet est de savoir si, avec le digital, le domaine du conseil aux entreprises en général, et du conseil en stratégie plus particulièrement, "est mort", entraînant avec lui les sociétés de conseil aux noms pourtant encore prestigieux comme McKinsey, BCG ou Bain,...
Effectivement, pour GreenSI il n'y a pas de raison que le domaine du conseil soit isolé de la transformation digitale et qu'il ne doit pas également se transformer. Sinon on l'aurait appelé Dieu ;-)
Une des thèses de cet ouvrage est que la connaissance et l'expertise seront balayés par l'empathie et l'attention. La connaissance devient une commodité en libre-service et l'expertise se transforme en algorithme. Dans ce contexte, les métiers du conseil qui se sont développés sur ces deux piliers peuvent effectivement être ébranlés.
Et puis certains diront qu'aucun des cabinets historiques qui ont surfé sur la vague de la mondialisation et de la rationalisation des processus n'a vu venir le digital. C'est une claque dans leur modèle de pensée, donnée par quelques plateformes ultra-technologiques mondiales, qui ont réinventé en très peu de temps l'expérience client avec un nouveau modèle : "the winner takes all".
Mais nous ne sommes qu'au début de la transformation amenée par cette disruption et la question de l'avenir du conseil se pose également dans un monde où l'intelligence artificielle sera à la fois la règle du business et le système d'exploitation des nouvelles plateformes.
La transformation digitale est une transformation en profondeur des organisations. Le conseil en management peut donc se sentir légitime pour l'aborder. Mais cette transformation se construit sur un cœur technologique solide, en rupture par rapport à ce que les entreprises avaient développé dans leurs DSI, d'où l'urgence d'éduquer nos états-majors à la technologie, voire au code pour reprendre un leitmotiv d'Aurelie Jean ("Les décideurs doivent s'initier au code pour devenir des leaders éclairées"). Or le conseil en technologie a souvent été le parent pauvre du conseil en stratégie, la partie la moins noble (quand ces divisions existaient car beaucoup n'en avaient pas). La technologie et la stratégie n'étaient pas considérées comme le même métier, et donc peu de profils mixtes ont été attirés pour construire ces cabinets. Des profils qui aujourd'hui font défaut.
Les sociétés de services en technologies (Accenture, IBM, Cap Gemini...) en ont donc profité pour s'y installer confortablement, et exploiter cette position pour vendre leurs prestations de réalisation, voir d'outsourcing, renforçant ainsi le schisme entre la stratégie de l'entreprise et son système d'information.
Les cabinets d'audit ont fait de même (KPMD, Deloitte...) avec un ancrage encore plus fort à la direction générale et à la direction financière qui contrôle encore certaines DSI. Mais ces deux concurrences n'ont pas trop fait d'ombre au développement du conseil en stratégie.
Mais la révolution digitale a changé la donne car la technologie est devenue LE service (numérique), l'expérience client, voir le processus quand la plateforme est conçue dès le départ sans intervention humaine. Ne pas avoir d'expertise technologique pour accompagner la stratégie d'une entreprise est devenu de l'obscurantisme.
Autre changement majeur pour ces "practices IT", la multidisciplinarité de la réflexion, du design à la vente omnicanale de ces nouveaux services sur Internet. Car c'est cette multidisciplinarité qui expliquera sur le terrain le succès, ou pas, d'une offre, et non le Powerpoint produit par le consultant et ne contenant seulement que les incantations de son succès. Or dans un monde où il y a clairement un avantage au premier entrant, l'exécution l'emporte sur la réflexion. Les practices technologiques isolées ont peu de chance d'avoir impacté durablement les bénéfices de leurs clients.
On pense souvent au GAFAs quand on parle de plateforme technologique, mais ce ne sont pas les seuls. GreenSI aime bien citer la marque ZARA (Groupe espagnol Inditex), qui a depuis 30 ans une croissance phénoménale, en réinventant la logistique de façon agile (modèle J-15) autour d'une supply chain informatique maison, trois fois moins chère qu'un ERP !
Son fondateur, Amancio Ortega, est devenu la 8ème fortune mondiale aux côtés de Marc Zuckerberg, Jeff Bezos ou Bill Gates. Comme quoi en matière de stratégie l'agilité est aussi performante que le digital.
Dans ce contexte, pour les cabinets de conseil en stratégie qui se réveillent, la difficulté à recruter les profils passionnés à la fois par le conseil et les technologies, après parfois les avoir écartés ces vingt dernières années, est certainement une difficulté réelle.
Mais les méthodes sont en train de changer. McKinsey a ouvert un "Digital Lab" pour attirer les talents, et l'exploite pour sa marque employeur. Et puis McKinsey a un autre "atout 2.0" moins connu, son réseau d'anciens (McKinsey Alumni) qu'il sait mobiliser pour savoir ce qui se passe dans les startups qu'ils ont rejoint. Dans un autre cabinet, de l'aveu même d'un de mes amis qui y est partner, les séniors brainstorment maintenant avec les juniors, plus aguerris aux nouvelles technologies, une révolution dans la pyramide historique et hiérarchique du mérite...
La consultation du rapport 2018 du syndicat des conseils en stratégie montre que le domaine est toujours en croissance forte et donc loin d'une crise. Mais cette croissance est peut-être en trompe l'œil, d'une part avec l'arrivée de ces nouveaux acteurs qui adoptent les codes du digital, et d'autre part avec l'épuisement de leurs clients historiques quand ils continuent de prodiguer des anciennes potions inadaptées au digital.
Sinon GreenSI ne peut pas résister de publier la page du site du syndicat du conseil en stratégie, traitant de pourquoi faire appel à un conseil, qui visiblement se pose également des questionsavec un site en construction !
La transformation a déjà commencé pour plusieurs acteurs mis en avant dans des billets précédents. Par exemple weave se définit comme un « collectif en conseil augmenté » et repense le conseil sur la Data, le Design Thinking, et le Digital. Pour weave, le conseil en stratégie doit intégrer une nouvelle approche sur la technologie et une passion pour le prototypage pour ne pas rester dans la "recommandation Powerpoint".
On peut également citer FaberNovel, un acteur de l'innovation, qui en 10 ans est passé d’une dizaine d’individus à plus de 450 collaborateurs sur 3 savoir-faire (design, stratégie et développement) et développant aujourd'hui la data science ou l’intelligence artificielle dans des missions de stratégie.
Les ESN - Entreprises de Services Numériques - comme Open Group, se sont également dotées d'agences de design et de compétences dans l'intelligence artificielle, pour pouvoir accompagner leur clients sans rupture, de l'idée à la mise en œuvre. On peut également illustrer avec les évolutions d'Accenture issues du conseil en technologie qui se renforcent dans les architectures avec Octo Technologie, Roland Berger acteur historique de la stratégie (qui a une alliance avec le Numa un incubateur de startups), ou SQLI et Sopra Stéria qui font leur emplettes en Allemagne (Codelux, BlueCarat) dans le digital et la stratégie IT.
Si le DSI et le DG doivent travailler ensemble pour la transformation digitale de leur entreprise, les conseils du DSI et ceux du DG le doivent également et l'innovation doit être au cœur de ces savoirs faire.
GreenSI a d'ailleurs depuis quelques années pointé du doigt que la transformation digitale des DSI était freinée par ses propres fournisseurs. Ce sont effectivement eux qui sont les derniers à avoir envie de voir arriver l'ère du SaaS quand leurs logiciels ne marchent que "on-premisse" ou plus récemment de voir le SI de l'entreprise migrer dans le Cloud quand ils en assurent la TMA ou l'exploitation sur leurs propres serveurs depuis des années. La DSI qui garde les mêmes fournisseurs depuis plus de 5 ans a donc peu de chance de se transformer...
La chaîne de valeur pour accompagner les entreprises dans leur transformation n'est donc plus segmentée comme elle l'a été avec le conseil, l'intégration et l'exploitation, et peut-être encore plus structurant, segmentée entre la réflexion et la mise en œuvre.Cette chaîne de valeur est en train de se réorganiser et de modifier les frontières historiques du marché avec des modèles économiques différents.
Bienvenue dans "l'ère des makers" !
Ceux qui gagnent sont ceux qui font. Il vont vite et raflent la mise. Ils opèrent en mode agile et remettent en cause régulièrement le status quo. La stratégie est devenue annuelle quand elle était quinquennale. Les succès se construisent plus avec ceux qui savent exécuter et moins avec ceux qui savent planifier. L'exécution l'emporte sur la vision, ou comme GreenSI aime bien le dire, la vision et l'exécution sont indissociables.
La meilleure façon de prédire l'avenir reste encore de le créer, nous disait Peter Drucker, pourtant le plus grand penseur des organisations du monde pré-digital qui a inspiré tous les consultants en stratégie pendant 60 ans. Certains n'ont pas dû tout écouter ;-)
La disruption des cabinets de conseil viendra lorsqu'au lieu de juste conseiller ils porteront le risque avec leurs clients en investissant du capital sur les projets qu'ils conseillent et en partageront les résultats. C'est une condition pour réconcilier réflexion et exécution.
Alors lors de votre prochain rendez-vous avec un consultant en stratégie, posez-lui la question : et vous, comment vous adaptez-vous à la révolution du digital ? Si il n'en a aucune idée, dites-vous que vous pourriez être sa prochaine victime ;-)