L'époque des aventuriers du 2.0
En 2008-2009 tout était plus simple. Peu
d'entreprises avaient identifié le collaboratif comme un nouveau
domaine du SI de l'entreprise. Peu d'offres existaient sur le marché. Et
ceux qui à cette époque se lançaient partaient uniquement d'un intranet
et de bases documentaires qui commençaient à proliférer depuis quelques
années, pour essayer de les rationaliser.
Valeo par exemple s'est attaqué dans les premiers à la création d'une entité interne spécialisée sur la collaboration ("Office Automation"), pour faire table rase du passé et offrir aux utilisateurs un nouvel environnement de collaboration plus riche, mieux intégré et surtout moins cher. Car dans un contexte 2009 de crise et de réduction des coûts (recul du chiffre d'affaires de Valéo de 14%, et perte nette en 2009),
ce type de projet informatique remportait la faveur de la Direction et
calmait, au moins temporairement, les nombreux freins au changement
Et comme souvent en informatique, les promesses ne manquaient pas à l'époque. Microsoft par exemple voyait Sharepoint 2007 + Office,
comme la plateforme qui allait traiter la collaboration depuis
l'individu qui classait ses documents sur son PC (le truc
anticollaboratif au possible, quoi!) jusqu’à l'internet et à la
collaboration étendue à l'extérieur de l'entreprise.
L'avenir en aura finalement décidé autrement, et l'internet fixe puis ensuite mobile, fera la course en tête, très loin devant l'entreprise, ses utilisateurs et ses PCs. La flèche d'adoption s'est inversée !
Entre 2009 et 2012, d'autres entreprises ont suivi et les outils 2.0 se sont développés. Certains pour remplacer l'email comme BlueKiwi avec la plateforme ZEN (Zero
Email Network), d'autres pour ouvrir les relations dans l'entreprise et
y partager tout ce qu'il y avait à partager (documents, photos,
vidéos...). Dans tous les cas pour offrir une alternative interne aux
salariés, à la pléthore d'outils collaboratifs qui se développait sur
l'internet... avant que les utilisateurs ne les adoptent.
Et aujourd'hui dans un contexte de
salariés "suréquipés" en smartphones et parfois en tablettes, la
tentation est encore plus grande d'aller faire son choix d'outils dans
des stores en ligne regorgeant d'applications collaboratives sans poser
la question à la DSI. La pression sur les équipes du SI collaboratif est
donc toujours aussi forte pour l'adoption des solutions de
collaboration internes sécurisées. Elle passe maintenant par la disponibilité de son offre de façon sécurisée sur les nouveaux équipements mobiles des salariés.
Et l'exercice n'est pas simple, tant
l'internet grand public financé par le capital et la prise de risques
est puissant par rapport à une informatique d'entreprise qui ne jure que
par la réduction des risques et des coûts.
En 2013, cinq années ont passé depuis
cette période d'aventuriers dont on retrouve nombreux témoignage sur le
Web. Cinq ans, la demi-vie d'une application, à l'échelle du cycle des
applications qui ne dure rarement plus de 7 à 10 ans. Et donc, aussi
surprenant que cela puisse paraître, certaines entreprises parties en premier sont déjà en train d'attaquer le début du second cycle
et rationaliser leurs applications collaboratives, alors que d'autres
se posent encore la question de savoir s'il y a un ROI à la
collaboration dans l'entreprise.
Le chaos 2.0 se profile-t-il à l'horizon?
Au fils des ans, les outils de collaboration se sont développés, empilés: intranet à tout faire, communications unifiées, email encore et encore, messagerie instantanée, visioconférence, réseau social, photothèques, vidéothèques, recherche étendue, drive partagés dans le cloud, annuaires d'entreprise,... chacun voulant assoir sa position pour assurer son avenir et recouvrir le domaine du voisin pour gérer sa croissance.
Signe de ce changement d'époque, des conférences sont positionnées cette fin d'année pour aborder ce nouveau cycle sur le thème de : l'urbanisation du collaboratif dans cette jungle d'outils à tout faire. Et notamment le 17 Septembre au Morning 01Business sur l'Entreprise collaborative, où j'interviens dans une table ronde avec Arnaud Rayrole, DG du cabinet Lecko, spécialistes des réseaux sociaux et outils collaboratifs.
L'évolution du référentiel de Lecko
qui cartographie toutes les solutions collaboratives d'entreprises est
d'ailleurs intéressante. Avant on y cherchait des solutions
complémentaires pour couvrir la palette fonctionnelle globale des
besoins. Maintenant on y va pour savoir ce que l'on achète en double,
car toutes les solutions se recouvrent... Bon d'accord, j'exagère, mais
on en est pas loin.
Par exemple un produit comme Exo qui,
comme beaucoup d'autres, se positionne dans tous les domaines, de la
recherche d'informations au partage de ressources en passant par la
gestion de projets, offre finalement peu de choix aux DSI. L'adopter ou y renoncer.
Ce n'est plus la
couverture fonctionnelle qui va tirer le choix, mais sa capacité à
n'activer que les modules nécessaires pour compléter des outils déjà
installés dans l'entreprise.
On entre aussi dans une zone dangereuse. Car ne nous leurrons pas. Cinquante produits n'arriveront pas à survivre
sur le marché de la collaboration en France. Les ERP ont aussi connu un
cycle d'expansion puis de consolidation et de rachats pour converger
sur une offre plus réduite et couvrant un champ plus large. C'est
certainement le scénario qui va se produire dans les outils de
collaboration dans les deux prochaines années avec la fin de vie des
premières applications.
Et puis les ERP 2.0 vont aussi finir par débarquer dans l'arène de la collaboration
avec la promesse de mettre de la collaboration dans les processus
métiers. Arriver à mixer processus métier et collaboration sociale, le
saint Graal de l’entreprise 2.0:
@fcharles Un vrai levier pour la mise en œuvre de la socialisation des processus métiers ?
— Pierre Jacob (@pierre_jacob) August 31, 2013
L’urbanisation des systèmes collaboratifs devient un impératif.
Elle est essentielle à la fois :
- pour éviter des investissements inutiles dans des outils redondants, et les coûts de maintenance associés,
- pour redonner à l'utilisateur une expérience "sans couture" d'un outil à l'autre,
- (et surtout) pour que l’utilisateur voie l'utilité de la collaboration dans le cadre de ses responsabilités opérationnelles. Les utilisateurs qui ont franchi cette porte, souvent seuls, en tirent des avantages et le disent. C'est aussi vrai avec la collaboration externe à l'entreprise. Alors, comment en faire un modèle général dans l'entreprise et dépasser les quelques exceptions actuelles.
Mais l'urbanisation du SI collaboratif
doit aller au-delà de la répartition des fonctions entre les outils, du
type: "tel outil gère les documents et tel outil gère les discussions." Des objets communs et partagés par tout le collaboratif apparaissent.
Comme le profil utilisateur par exemple. Il est dommage de ne pas
savoir quand on discute avec quelqu'un ce qu'il a publié comme document,
et réciproquement dans un document quels sont les thèmes de discussions
que l'auteur anime dans l'entreprise pour son travail. Le partage du
profil utilisateur entre applications collaboratives permettrait de le
faire, à condition que ce profil soit en retour enrichi par toutes ces
applications.
De même, les statistiques d'utilisation
des outils ne doivent pas être piégées dans chaque plateforme. C'est
même essentiel pour voir l'adoption de nouveaux usages et piloter le
développement des usages de façon transverse à moindres coûts.
Profils
utilisateurs, catalogue des sources, statistiques d'utilisations,.. le
partage de ces référentiels devient un impératif si l'entreprise veut
construire une plateforme de collaboration sans couture, pour piloter sa transformation et développer de nouveaux usages.
Dans le monde de l'internet grand public,
Google par exemple, ne se pose aucune question (alors qu'il devrait...)
créer ces référentiels, pour croiser et rapprocher les usages de ses
différents produits, mieux cerner les utilisateurs et leur proposer
proactivement de la publicité. Dans le monde de l'entreprise,
l'éclatement des produits et la faible urbanisation, freine cette
possibilité d'avoir une vision globale de la collaboration et mieux
aider l'utilisateur à travailler.
Certes des standards d'interopérabilité
apparaissent (OpenID, OpenSocial,...) mais ils ne sont pas encore...
standards! Et d'ailleurs en 2009, le W3C appelait déjà de ses voeux à une architecture de collaboration distribuée et décentralisée que l'on attend toujours. Ceux qui sont à la manœuvre doutent d'une issue à court terme:
@fcharles API, opensocial pour les technologies, digital workplace / bureau virtuel pour les usages et c'est pas gagné pour le délai ;-)
— Nicolas Steinmetz (@nsteinmetz) August 31, 2013
La DSI n'a donc pas beaucoup d'options.
Soit elle attend la consolidation de l'offre ou l'émergence de standards qui devraient faire émerger quelque chose de mieux intégré, soit elle prend le taureau par les cornes et gère l'intégration elle même.
Ceux qui ont démarré l'aventure il y a quelques années ont déjà plein
d'outils 2.0 à mieux intégrer entre eux pour créer une meilleure
expérience utilisateurs. Les autres seront vigilants avant de s'engager
sur l'une des 50 plateformes disponibles et questionneront son ouverture
et son intégration.
Profitons de la période pour échanger et
partager sur nos trajectoires respectives, car GreenSI flaire que les
embuches risquent d'être aussi au rendez-vous.