dimanche 21 juillet 2019

Le redoublement du plan numérique à l'école

"La stratégie pour faire rentrer l'école dans l'ère numérique vise à développer un écosystème global de l'e-Education, depuis les contenus et services jusqu'au matériel.
Elle s'appuie sur la mobilisation coordonnée des différents acteurs pour mettre en place les conditions optimales d'un développement harmonieux et efficace des usages, des ressources, des équipements, des infrastructures, de la formation des enseignants et des compétences numériques des élèves."
Ce n'est pas GreenSI qui le dit, mais le plan numérique à l'école du gouvernement français, lancé en 2015. Et GreenSI ne peut que supporter une vision qui se base sur le développement d'usages, au sein d'écosystème mixant contenuéquipements et utilisateurs


Dans le cas présent, la révolution numérique permet un renouveau pédagogique majeur. L'école primaire et le collège sont les bons endroits pour amener les nouvelles générations à maîtriser le bagage numérique qui aura une influence majeure sur la société dans laquelle ils vont vivre.
Mais le numérique est également un défi majeur de transformation dans tous les secteurs dont l'éducation, même nationale (abordé en 2014 dans le billet "un tsunami numérique va déferler sur le monde de l'éducation"). Il disrupte la production de contenu, mais également les méthodes, les programmes d’enseignement et les modes d’évaluation tout en offrant une possible réorganisation des espaces et des temps scolaires.
Dès 2015, la mesure principale de ce plan concerne l'équipement des élèves. Elle est cofinancée par l’État et par les collectivités territoriales et a été déployée progressivement pour viser l'objectif de 100% des élèves dotés de tablettes numériques en 2018.
Malheureusement les usages et le nouvel écosystème n'ont pas suivi, et même le taux d'équipement n'a pas dépassé 43%. Alors l'an dernier, pendant la torpeur du mois d'août, le gouvernement a enterré ce plan en changeant d'approche, bousculé par les coûts associés à des équipements fragiles dont le renouvellement technique est rapide, et sans grand effet "waouh" vue la très large diffusion de ces équipements au sein de la population. Il est maintenant préconisé de laisser les tablettes personnelles des élèves se connecter dans les établissements plutôt que de poursuivre l'onéreuse fourniture de tablettes aux élèves. On retrouve ici la question du BYOD, "bring your own device" qui s'est également posée dans l'entreprise.


Cette semaine la Cour des comptes publie son rapport sur ce plan numérique avec une conclusion assez sévère : "La politique en faveur du numérique éducatif est devenue illisible en tant que politique nationale, inscrite dans un service public".

Ce qui a intéressé GreenSI, c'est ce que n'est pas tant un problème d'argent qu'un problème de méthode. Les investissements publics en faveur du numérique éducatif ont beaucoup progressé durant la période 2013-2017, mais la priorité (discutable) donnée aux équipements, a absorbé une grande partie des investissements du Programme d'Investissements d'Avenir (PIA 2). 
De plus, ces investissements n'ont pas bénéficié de "conditions de déploiement optimale", que ce soit la connexion insuffisante des écoles, des enseignants et des élèves qui doivent trouver ensemble l'usage des ressources numériques, la formation initiale ou l’accompagnement approprié des enseignants avec une pédagogie appuyée sur le numérique.

L'enquête menée par le laboratoire Techné de l’université de Poitiers pour la Cour des compte, montre que les enseignants utilisent aujourd'hui majoritairement les outils numériques pour préparer leur cours, mais sont-ils préparés pour les intégrer dans leur pédagogie ? Cette question est clef pour une transformation de la relation élève-enseignant en classe.
L’État, qui a pourtant réformé la formation initiale des enseignants, n'a pas pris la mesure de la transition numérique et a même supprimé la validation de ces compétences numériques essentielles, lors de leur formation initiale.
Enfin, le numérique pose la question du système d'information au sein de l'écosystème. La DINSIC partage le constat d’une quasi-dépendance du ministère de l’Éducation nationale s’agissant des logiciels de gestion de la vie scolaire, ce qui devient compliqué à piloter quand ils sont au cœur de cette transformation.

La Cour des comptes termine son rapport par la recommandation d'une stratégie de déploiement du numérique au sein de l’éducation nationale qui pourra inspirer plus d'un projet de transformation, puisque c'est bien de cela dont il s'agit :

  1. Un socle numérique de base (écoles, collèges et lycées), homogène au plan national pour chaque catégorie, combinant des infrastructures et des équipements mis en place par la collectivité responsable avec un engagement de l’État sur la formation des enseignants et la mise à disposition de ressources éducatives
  2. Rétablir une certification obligatoire des compétences numériques dans la formation initiale
  3. Piloter l’offre de ressources et services pédagogiques numériques, clarifier les missions de service public pour les gérer
  4. Faciliter l’accès des élèves et des enseignants aux ressources et services numériques publics grâce à un portail unique
  5. Compléter la connectivité de l’ensemble des écoles et établissements scolaires publics
  6. Réserver l’acquisition d’équipements individuels aux élèves qui en font la demande, et sur critères sociaux
  7. Faire évoluer les dispositifs d’espaces numériques de travail, pour garantir la protection des données à caractère personnel, grâce à l’identifiant unique de chaque usager de l’éducation nationale.
  8. Reprendre la maîtrise des logiciels de gestion de la vie scolaire

Ce plan de recommandations reprenant en partie l'objectif initial du programme de 2015, la boucle est bouclée, et le redoublement assuré ;-)

Ce retour d'expérience illustre bien l'inutilité d'une transformation seulement guidée par le déploiement de la technologie. Il illustre également la difficulté à accompagner les changements et l'appropriation de la technologie pour développer de nouveaux usages et l'importance d'engager en même temps des expérimentations liées à l’innovation dans les processus.
A l'échelle d'un ministère de plus d'un million de fonctionnaires, dont 850.000 enseignants, il n'y a aucun doute que la transformation numérique est d'abord une question de femmes et d'hommes. Mais attention à l'accélération, car demain la machine viendra s'en mêler avec la question de l'influence des progrès de l'intelligence artificielle sur les outils pédagogiques, la formation des enseignants ou les nouveaux modes d’apprentissage.
La stratégie pour faire rentrer l'école dans l'ère numérique n'en est qu'au tout début du chemin...
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