La première perspective des "smart cities" est bien celle de la donnée.
A l'origine, le mouvement de l'open data a commencé à gagner en influence, d'abord au niveau national avec une vision presque politique (transparence de l'État, rendre aux citoyens les données qu'ils financent avec leurs impôts) puis au niveau des territoires et des collectivités locales, qui se sont appropriées l'open data à leur façon.
Ce mouvement a surtout mis en exergue la donnée, ce qu'elle était, et la valeur qu'elle avait dans ses réutilisations potentielles.
Les deux tendances se sont aujourd'hui combinées !
L'ouverture des données, au sens large, s'est imposée à la fois comme porteur de transparence et de coordination dans le système complexe de la ville, mais également comme une plateforme technique pour échanger ces données et matérialiser le véritable jumeau numérique de la ville, devenu accessible. Ces deux dimensions sont présentes dans les projets d'hypervision de l'espace urbain les plus avancés en France.
La seconde perspective qui émerge est celle de la gouvernance numérique.
Que ce soit au niveau des échanges de données ou des plateformes qui les supportent, le rôle des acteurs impliqués est questionné et doit être gouverné. Une première loi a organisé l'open data public en 2016 et les obligations de chaque acteur pour son avènement. Puis en 2018 les données personnelles ont bénéficié d'un cadre général en Europe au travers du RGPD. Enfin toutes les autres données se trouvent à circuler dans des systèmes d'information qui ont leur propre gouvernance, notamment en terme de sécurité et de protection des données.
La gouvernance de la donnée existe donc déjà, mais elle est peu unifiée et pas toujours lisible. On commence d'ailleurs à voir émerger des programmes académiques centrés sur ce sujet qui prends de plus en plus d'importance, comme la Chaire que lance ce mois-ci l'ESSEC, intitulée "Stratégie & Gouvernance de la donnée".
Dans la ville devenue intelligente, la gouvernance de la donnée est un fil rouge mobilisateur, transversal aux compétences de la collectivité mais également aux écosystèmes qui se constituent autour des nouveaux gisements de données (données de transport, flux sur l'espace public, interventions sur les équipements de la ville, ...)
Pour donner du sens à cette gouvernance, la collectivité est attendue par les citoyens pour prendre position sur le traitement de leurs données personnelles au niveau local, et parfois prendre position, là où la loi ne s'est pas encore totalement prononcée, comme sur la cyber-surveillance et demain sur l'intelligence artificielle. Des collectivités ont engagé des travaux sur des chartes de bonne conduite dans le traitement des données, pour aborder avec du sens et de façon transverse, les multiples règlements illisibles pour les citoyens.
La collectivité est aussi attendue pour réguler le développement des nouveaux services, notamment par les données, comme ce billet de juin dernier l'avait montré avec l'exemple des trottinettes à Paris. Enfin la collectivité, historiquement organisée par compétences, pour ne pas dire en silos, dans un millefeuille territoriale pas toujours simple à décrypter, a aussi besoin d'organiser ses données pour plus de transversalité. Elle commence à adopter les démarches de la transformation digitale et même de nouveaux postes transverses, dans l'organisation de ses services ou de sa DSI, comme Administrateur Général des Données ou Chief Digital Officer.
La troisième perspective que souhaite mettre en évidence GreenSI est donc celle de la transformation digitale.
Dans les territoires devenus intelligents, on assiste à une réalité de transformation du numérique proche de celle des entreprises. La technologie, et en son cœur les données, permettent de gérer efficacement les actifs et les ressources, avec un objectif d'améliorer le mode de vie des habitants mais également sur celui des entreprises.
Transformation digitale des entreprises et villes intelligentes se rencontrent. La vivacité de la première renforce la seconde, et réciproquement.
Dans l'analyse de GreenSI, beaucoup d'industries sont, ou vont être, concernées et peut-être challengées, par cette transformation. Le premier axe de transformation se trouve dans les services qui organisent où réorganisent l'espace, que ce soit l'immobilier, le transport et bien sûr l'urbanisme.
La transformation digitale met en avant l'agilité et le numérique. La traduction d'une plus grande agilité grâce au numérique dans le secteur de l'immobilier commercial est par exemple la conception d'espaces à usage mixte ou le développement de l'impression 3D, qui rend agile la fabrication.
Le récent Moniteur Innovation Day à StationF, a permis de faire le point sur cette tendance et de dégager trois axes de transformation (et d'innovation) de la filière construction au service des villes :
- Le cap vers l'économie servicielle, avec des nouveaux ouvrages intégrant systématiquement plus de services associés. Ces services délivrés par les ouvrages reposent sur le numérique et interagissent avec leurs usagers. Le bâtiment lui même devient intelligent.
- La transformation de la construction, de la conception au chantier, avec une construction qui se déplace hors site, une économie circulaire qui se met en place au niveau des chantiers. La ville de demain sera construite avec les matériaux d'hier, et les acteurs de l'environnement présent au MID, comme Suez, se lancent dans la déconstruction pour recycler les materiaux. Mais la ville de demain a aussi une composante numérique avec la réalité virtuelle de sa conception qui viendra enrichir le jumeau numérique des villes intelligentes
- De nouvelles formes d'organisation et de management émergent, comme les nouveaux processus collaboratifs à l'ère du BIM, mais également une stimulation de l'innovation plus forte. Le rôle de nouvelles plateformes collaboratives est déjà bien installé, mais des plateformes d'un nouveau genre émergent, comme celle de Siradel, les villes veulent leur double numérique.
Enfin au niveau de l'urbanisme, le projet de Google à Toronto questionne les planificateurs urbains et immobiliers. Comment prévoir des espaces mixtes reconfigurables dans la journée ou en fonction des saisons, ou revoir les circuits de livraison qui engorgent les villes et les remplacer par des drones aériens ou sous-terrains ? La collecte des déchets s'imagine déjà différemment avec les premières navettes fluviales comme celle qui démarre sur la Seine après celle du Grand-Lyon.
Le second axe de transformation est dans la gestion des infrastructures.
L'effondrement du viaduc à Gênes, il y a juste un an, aura marqué les esprits de ceux qui sont en charge des infrastructures et remis les projecteurs sur les besoins en maintenance des infrastructures urbaines.
Des besoins, que l'on pourrait parfois avoir tendance à facilement oublier quand ils concernent le futur et ne sont pas visibles aujourd'hui. Les coûts de maintenance sont en général sous estimé et le déficit des années antérieures peut s'avérer colossal.
Dans ce contexte, l'enjeu de transformation digitale est de réduire le coût d'aujourd'hui et, via l'internet des objets et la maintenance prédictive, de réduire également celui du déficit en ne traitant que le juste nécessaire.
La répartition de ces charges entre de multiples acteurs publics va nécessiter l'émergence de bases de données communes, pour coordonner et optimiser ces plans, à l'image de ce que la construction a commencé avec le BIM. On en est au tout début.
Enfin, le numérique de la ville intelligente doit lui même être considéré comme une nouvelle infrastructure qu'il faut sécuriser et maintenir avec un cycle de renouvellement plus rapide.
Cette infrastructure demande des moyens propres en terme de réseaux, de capacité de calcul, mais aussi de cybersécurité. Le sous-dimensionnement de ces infrastructures ou leur fragilité, limitera le développement et la transformation des autres services. Cette infrastructure, n'est pas limitée au système d'information de la collectivité. Elle est partagée par toutes les parties prenantes, que ce soient les citoyens connectés, chez eux ou sans fil sur l'espace public, les commerçants, les entreprises et même les véhicules.
Elle rendra possible par exemple le développement massif d'applications comme la télé-médecine, avec des citoyens davantage connectés à leurs praticiens de santé. La 5G est à horizon 3 ans en France sur le plan des réseaux, pour compléter les autres réseaux actuels comme le Wifi ou le bas-débit des compteurs intelligents (ex. Wize 169MHz), mais l'essentiel sera à nouveau dans la capacité à traiter les données avec des plateformes interopérables, et donc adopter une gouvernance adaptée.
Derrière le concept de ville intelligente se cache donc la transformation digitale des collectivités locales, des territoires et de tous leurs acteurs. Une transformation qui s'annonce passionnante et que l'on continuera à suivre.
Si vous voyagez en ville ces vacances, regardez autour de vous cette transformation est déjà visible, et revenez transformé en septembre pour aborder la reprise des billets GreenSI. Bonnes vacances !