dimanche 7 juillet 2019

Jusqu'où vouloir faire le bien des citoyens avec la technologie?

Quand en France la "raison d'être" enflamme les débats et a été intégrée à la dernière loi pour les entreprises (loi Pacte), le "motto", le code de conduite pour une entreprise américaine, est depuis longtemps un élément de sa stratégie, parfois très médiatisé.
Ce fut le cas avec celui de Google "don’t be evil" (Ne soyez pas malveillants), inspirant aussi d'autres acteurs de la Tech de la Silicon Valley. Après 19 ans de service, ce "motto" a été changé l'an dernier par "Do the right thing" (Faites ce qui est juste). L'enjeu d'un "motto" est d'aligner toute la chaîne d'innovation d'une entreprise pour trouver comment la technologie peut améliorer la vie des gens, même si, ne soyons pas naïf, la majorité des projets qui en sortiront devront d'abord être rentables et ouvrir un marché d'au moins X milliards de dollars.
Avec une telle ambition universelle et fondatrice, GreenSI se pose la question de la limite d'action d'une entreprise vis-à-vis du politique qui dirige les peuples, au niveau local ou national. Illustrons-le avec deux exemples tirés du parcours récent de ceux qui ont réellement les moyens financiers et d'ingénierie pour changer le monde, les GAFAs !
Restons sur Google et sa filiale Sidewalk Labs qui a initié en octobre 2017 un partenariat inédit avec la ville de Toronto, pour développer une nouvelle norme pour la vie urbaine au 21e siècle en équipant le quartier Quayside.
Le rapport final a été publié fin juin, un rapport de pas moins de 1500 pages en trois volumes que GreenSI est allé chercher (I - Plan de développementII - Innovations et III - Governance). Ce plan directeur est la synthèse d'une démarche de mobilisation sans précédent de dizaines de milliers de torontois et d'agents de la fonction publique de la ville, dont les travaux ont été publiés au fil de l'eau sur un site internet dédié et ont pu être largement commentés. Ces commentaires, et leur médiatisation locale pendant 12 mois, ont permis d'amender et d'enrichir le projet pour l'adapter aux besoins et réserves de la population.



Cependant le simple nom de Google pour imaginer la ville de demain déclenche beaucoup de craintes, et peut-être même de fantasmes, sur la gestion des données personnelles. Mais alors pourquoi avoir accepté en 2017 de confier à Google cette réflexion ? Et si Google est animé par son nouveau motto "do the right thing" pourquoi ne serait-il pas apte à imaginer ce futur, surtout en mobilisant les talents multi-disciplinaires qu'il sait si bien recruter à travers le monde ? Le sujet des données est d'ailleurs loin d'être l'essentiel de ce projet qui fait bien jaloux...

Quand on rentre dans le rapport final, les spécialistes voient immédiatement que ce plan chercher à bouger les lignes de la ville de demain, que ce soit dans la mobilité, la gestion des bâtiments, ou la durabilité. Bien sûr l'innovation numérique est également au rendez-vous, mais les propositions ne sont pas des plus surprenantes. Après tout, la technologie de capteurs fut il y a 10 ans le point de départ de beaucoup de projets de "smart city" dans le monde, pour ensuite s'enrichir d'une dimension citoyenne, et aujourd'hui de performance économique des services.

En revanche, le premier quartier totalement construit en bois massif avec des rues qui peuvent être reconfigurées et s'adapter aux changements est plus original et unique. De même l'objectif de développement des infrastructures de transport en commun et de pistes cyclables pour éliminer la nécessité de posséder une voiture, est aussi unique dans la façon dont le problème est posé. Paris aimerait bien réduire les véhicules, mais sa gouvernance complexe au sein de la région n'a pas su anticiper une saturation des transports en commun, ouvrant la voie à des acteurs de micros mobilités encore plus difficilement gouvernables. La voiture est combattue, quand le projet Quayside pousse son remplacement, question de perspective.

Enfin, contrairement aux raccourcis que l'on peut lire par-ci et par-là, Quayside ce ne sera pas une "ville Google". Le rôle de Sidewalk Labs est dans l'accompagnement du secteur public pour créer les conditions d'un développement économique, d'aménager une petite partie des terrains pour y développer un Campus de l'innovation et un siège canadien de Google, et non dans le développement de toute une ville. Le gouvernement de l'Ontario reste bien sûr à la manœuvre, notamment pour valider et amender le projet proposé d'ici fin 2020, pour qu'il soit engagé.

Ce projet de Toronto révèle un besoin d'adaptation des services urbains à un moment porté par deux révolutions, l'une numérique et l'autre environnementale, dans le contexte d'une croissance du modèle urbain qui ne ralenti pas. Toronto à besoin de cette transformation et trouvera le bon niveau de curseur dans sa relation avec Google. GreenSI en est persuadé, Google, via Sidewalk Labs, accompagnera les villes dans leur développement et certainement Toronto.


En France, le développement des services urbains, à la recherche de performance et d'améliorations pour les citoyens, se fait aussi avec de nouvelles combinaisons entre public et privé, comme le montrent les projets de Dijon Métropole, de la communauté de communes du pays Haut Val d'Alzette ou encore la consultation encore plus ambitieuse, en incluant les Régies municipales dans le périmètre, qui se déroule en ce moment à Angers.
C'est en 2016 qu'un décret a autorisé en France le partenariat d’innovation public-privé. Il permet de ne pas utiliser un appel d'offre classique (avec un cahier des charges) pour "la recherche et le développement de produits innovants ainsi que l’acquisition ultérieure des produits en résultant et qui répondent à un besoin ne pouvant être satisfait par l’acquisition de produits déjà disponibles sur le marché". Les villes intelligentes ne s'achètent pas sur étagère et entrent dans cette catégorie.
Le gros atout de ce dispositif par rapport à Toronto, c'est que la collectivité reste le maître du jeu, pendant la consultation et pendant le projet, tout en bénéficiant de l'expertise d'acteurs industriels comme EngieBouyguesSuez ou Cap Gemini., qui dégagent en plus des synergies.
Le second exemple de ce billet est celui d'une entreprise qui a inscrit dans son ADN les échanges et la collaboration entre individus sur la planète: Facebook. Son "motto" est-il trop ambitieux pour pouvoir déstabiliser des démocraties ?
Jusqu'où peut aller Facebook dans sa relation avec le politique ?


Aujourd'hui Facebook annonce le lancement prochain du "libra", une nouvelle monnaie digitale.
Ce projet ambitieux, totalement aligné avec la stratégie du réseau social, n'a pas manqué de déclencher une avalanche de réactions pour alerter l'opinion du franchissement d'une ligne rouge imaginaire. Imaginaire, car tout ce qui n'est pas interdit est autorisé et Facebook ne se mettra pas hors la loi, vu le niveau de son budget "affaires juridiques" ;-)

La vision de Facebook est de lancer le système paiement (dont il aurait besoin) à l'échelle de 2,5 milliards d'utilisateurs sur la planète pour pouvoir l'opérer au sein de son réseau social. Cette vision c'est une sorte de moyen de paiement transnational, qui déplais forcément aux Etats, et pour cela non associé à un compte bancaire qui serait nécessairement domicilié, ce qui déplais forcément aux banques. La fondation Libra a publié un livre blanc pour expliquer sa vision.


Le projet est bien construit. Ce n'est pas un hasard que l'américain, d'origine française, David Marcus, soit à la tête de ce projet. Il a été président de Paypal qu'il a quitté en 2018, et à étudié l'économie à Genève où est basé Libra, avant de rejoindre Mark Zuckerberg.
Libra s'appuie sur le terreau fertile des cryptomonnaies, qui ont réussi à s'imposer ces dix dernières années, mais en les réinventant pour dépasser leur limite technologique(performance technique et énergétique) et faire du futur Libra quelque chose de stable (indexés sur monnaies réelles). Donc pas de lien avec le Bitcoin, mais il en emprunte et améliore la technologie Blockchain.
Bien sûr, Facebook laisse la main à une association Libra à but non lucratif (avec juste 1 % des droits de vote) qui regroupe déjà 28 membres (des universités, des ONG mais aussi VISA, Mastercard, eBay ou Paypal) et créé une filiale (Calibra) qui va déployer la fonctionnalité d’acheter des libras pour ensuite effectuer des paiements sur son réseau social. Toute entreprise pourra en faire de même, y compris ses concurrents. Mark Zuckerberg a précisé que "toute information partagée avec Calibra sera bien gardée à part des informations partagées sur Facebook" et si il ne l'avait pas dit, le RGPD le lui aurait rappelé pour les européens. 

Alors l'ambition de Facebook qui heurte les États (et les banques mais là c'est de la concurrence) est-elle démesurée ? Le Congrès américain s'est vite montré réservé, la Banque Centrale Européenne contre, ce projet aura l'effet de réveiller un système international de paiement. Il y a d'ailleurs de fortes chances que Facebook puisse, avec ses partenaires, lancer Libra pour éventuellement limiter son usage au départ au sein de son réseau social. Son lancement est prévu en 2020, une année qui décidément sera passionnante ;-)

Avec ces deux projets on assiste à un plafond de verre que ne doit dépasser l'ambition d'une entreprise, sous peine de remettre en cause des équilibres politiques, Google au niveau d'un territoire, Facebook au niveau international et des États.

Un paradoxe que ces spécialistes du Cloud ont toujours un peu de mal à comprendre ;-)
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