Deux ans plus, la maturité de la blockchain était bien installée pour être utilisée pour la gestion des contrats, des transactions et de grands registres, dans une économie reposant principalement sur ces objets pour définir la propriété, l'identité ou les interactions entre acteurs économiques.
Les investissements dans ce domaine ont alors augmenté, et comme pour la ruée vers l'or, en finançant en premier les "vendeurs de pioches", c'est-à-dire ceux qui fournissent les outils ou les plateformes nécessaires pour cette révolution.
Le plus célèbre d'entre eux c'est peut-être Ethereum, la plateforme qui permet de développer des applications d'un nouveau type basées sur des contrats intelligents, mais également Hyperledger une plateforme de développement de blockchain en open source, de la fondation Linux, supportée par IBM.
En 2017, GreenSI se posait la question de la vitesse à laquelle pouvait se produire cette révolution. La blockchain fait partie des technologies de type "architectures" et les architectures ne se changent pas si vite. Nous sommes en 2019 et GreenSI se pose à nouveau la question, dans ce billet, des progrès concrets de la technologie blockchain depuis 2 ans.
La technologie du Bitcoin a finalement montré ses limites en passant à l'échelle, notamment dans le nombre de transactions par seconde et dans la quantité d'énergie que cela demande. Des alternatives sont donc apparues pour créer des cryptomonnaies plus performantes et moins énergivores.
La crise de 2018 du Bitcoin est passée par là depuis, quand il s'est effondré à $3.500 après avoir côté $20.000. Cela en a certainement refroidi plus d'un sur la capacité à monter un modèle de business stable, sur une monnaie si volatile, impactant par ricochet l'image de la technologie blockchain. D'ailleurs chaque vendeur de pioche que vous rencontrez, commence par vous expliquer pourquoi ce qu'il fait n'a rien à voir avec le Bitcoin, avant de vous expliquer ce qu'il fait vraiment ;-)
Si on se tourne vers la Chine où les usines à miner se sont développées dans les centrales de production d'énergie, quand le Bitcoin rapportait plus que de vendre l'électricité, on constate dans les chiffres la chute d'intérêt de la technologie, avec la chute du volume d'investissements à partir de fin 2017 (CBinsight), mais aussi celle de la mention du mot bitcoin dans les nouvelles d'investisseurs en Chine.
Maintenant quand on analyse ces chiffres, on relève encore 24 investissements, pour $45 millions, sur un seul trimestre en 2019. Cela reste une somme importante. La blockchain reste encore stratégique dans certains domaines.
A Paris, le mois dernier, c'était la Blockchain Week et le 16 et 17 avril le sommet PBWS (Paris Blockain Week Summit) qui réunissait des acteurs du monde entier pour y présenter les dernières réalisations dans le domaine. La keynote d’ouverture a été faite par David Chaum, CEO d’Elixxir, pionnier de la cryptographie et de l'argent électronique dès 1990 avec DigiCash.
Ce sommet a tenté d'apporter un esprit neuf en rappelant le développement de l'économie des données personnelles, le scandale Cambridge Analytica avec Facebook, et défendu le besoin de l'émergence d'un système de confiance dans lequel les consommateurs peuvent maîtriser et échanger leurs données.
La blockchain se voit bien en technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle. Mais les autres conférences et ateliers tournaient principalement autour des cryptomonnaies, sans présentation de nouvelles applications opérationnelles exploitant les smart contrats dans d'autres industries.
D'où l'interrogation de GreenSI sur ce qui se passe réellement dans la blockchain en dehors du Bitcoin ?
La traçabilité alimentaire a cependant tiré son épingle du jeu en bénéficiant, hors sommet, de la communication de poids lourds comme Carrefour, Nestlé et IBM qui ont développé l'écosystème "Food Trust" rassemblant plusieurs grands acteurs de la grande distribution dans le monde. L'annonce a été faite que la célèbre purée Mouseline en bénéficiera avec un QR code situé le paquet qui permettra d'afficher des informations sur le produit : la variété des pommes de terre picardes que normalement vous avez dans le sachet que vous tenez en main, la fabrication par Nestlé et les contrôles effectués sur ce sachet, puis sa mise en rayon chez Carrefour.
L'exemple ci-après fourni par IBM, mais avec des pommes, est assez similaire et explique comment la chaîne de traitement a été découpée pour organiser les "blocs" qui s'enchaînent - en "blocks chains" - pour assurer la traçabilité de cette filière.
Dans ce cas d'usage, la blockchain infalsifiable est censée donner aux consommateurs l’assurance de la qualité des produits qu’ils ont dans leur assiette.
Il n'est pas encore possible de la tester, mais a-t-on vraiment besoin d'une blockchain pour ce type d'application ?
Dans le billet "la Food Tech" propose de scanner pour mieux manger" GreenSI a décrit le succès d'applications comme Yuka, qui exploitent des bases de données ouvertes, et arrivent à faire changer les comportements... sans blockchain ! De plus, tous les experts s'accordent pour dire que la technologie blockchain est beaucoup moins performante qu'une base de données. Donc si on choisit finalement de la mettre en œuvre, c'est qu'il y a un autre bénéfice que technique, sinon ne vous lancez pas dans un projet de blockchain juste pour dire que vous avez une blockchain. Généralement ce bénéfice est la transparence, mais combien est-on prêt à payer en plus pour l'avoir, car in fine tout cela a un coût.
Pour qu'une blockchain fonctionne, il faut des standards partagés par tout un écosystème. On voit ici le lien entre Carrefour et Nestlé pour garantir ensemble une qualité au produit final dans l'assiette de Mme Michu. Mais quand on sait que les relations ne sont pas toujours au beau fixe entre fournisseurs et distributeurs, sans parler des producteurs qui se plaignent des marges de la grande distribution, on se dit que ces standards et ces écosystèmes ne vont pas être simples à établir et à gérer dans le temps.
Enfin, une blockchain ne peut garantir que ce qui est collecté de façon automatique et sans risque d'erreur, donc a priori en digitalisant totalement des actifs, et la transformation de ces actifs, par exemple avec l'usage de capteurs ou de biométrie. Quand la traçabilité d'une chaîne de production d'un produit, du producteur au distributeur repose sur du déclaratif saisie manuellement comme dans certains cas d'usages annoncés, GreenSI reste très dubitatif sur la véritable valeur d'une telle blockchain.
La blockchain se développera plus facilement sur des actifs déjà numérisés.
Pour GreenSI, les trois freins que sont, la digitalisation des actifs, les limitations de la technologie et la difficulté à rassembler des écosystèmes, font que la blockchain est encore loin d'être adoptée en masse et de pouvoir développer de nouveaux modèles créateurs de valeur. D'ailleurs si vous connaissez un usage mis en place dans votre entreprise et qui cartonne, partagez-le via les commentaires !
Maintenant, si on ne peut pas créer de la valeur à court terme, on peut réduire les coûts en transformant ce qui existe, sans chercher à le disrupter façon bitcoin. Et c'est peut-être par là qu'il faut commencer pour ne pas se laisser bercer par le buzz des annonces.
On peut par exemple réduire les coûts quand il y a des intermédiaires qui peuvent être remplacés par de la simple transparence, c'est d'ailleurs le sujet initial du lancement bitcoin (pour supprimer les banques). Le cas des paiements internationaux est aussi dans cette veine, et on peut imaginer que la santé et le secteur public pourraient également en bénéficier pour mieux partager les données. Ceux qui sont leader dans un de ces domaines, ont certainement la taille pour financer les projets par des économies et la marque pour créer des alliances de poids.
Alors est-ce que le bitcoin et la finance vont rester les seuls cas d'usages de la blockchain ?
Certainement encore pour quelques temps, car la finance est un domaine qui a des actifs qui n'ont pas attendu la blockchain pour se dématérialiser, qui a su développer des écosystèmes, notamment de "mineurs" pour faire fonctionner le marché de façon décentralisée, et qui bénéficie d'une régulation propice (mais cela pourrait changer).
Et puis quand on regarde les prévisions des analystes du monde SI du cabinet Gartner, ils prédisent même une phase de baisse des investissements en 2020, après la désillusion avec de multiples projets, puis un retour à des investissements plus forts entre 2022 et 2026 et les premières créations de valeur.
On les a connus plus euphoriques avec les nouvelles technologies !
On les a connus plus euphoriques avec les nouvelles technologies !
Autre signe de frémissement, deux leader du Cloud, AWS et Azure, ont décidé de ne plus laisser IBM faire la course seul en tête et viennent de sortir des offres de "Blockchain as a service". Ce sont des services managés incluant l'infrastructure à la demande et pouvant être partagés avec les membres d'un consortium. SAP, l'éditeur le plus concerné par les registres de l'entreprise, avait aussi fait une telle annonce l'an dernier.
L'annonce d'Amazon avait déjà eu lieu à re:Invent l'an dernier, mais Amazon ne l'a lancé officiellement que cette semaine : Amazon Managed Blockchain, sur Hyperledger Fabric et prochainement sur Ethereum.
De son côté Microsoft complète son offre de services autour de la blockchain avec Azure Blockchain Service et un premier consortium autour de JPMorgan qui fédère 75 banques, dont des banques françaises, pour traiter des paiements internationaux.
Donc pour GreenSI, en dehors du Bitcoin et des effets d'annonce pour booster son cours de Bourse, la blockchain ça bouge surtout du côté des vendeurs de pioches et de leurs partenaires dans le Cloud ;-)
Mais cela reste une technologie à garder sur les radars, pour se préparer à rejoindre, après-demain, les consortiums qui pourraient émerger dans quelques industries.