Elon Musk, et les patrons des principales divisions, se sont succédé pour délivrer presque 4h de conférence, à la mode des keynotes d'Apple, et très loin des standards du monde de l'automobile. Une conférence qui a été annoncée comme régulière, à l'instar de F8 pour Facebook ou de Google I/O, pour parler technologie.
Les managers de Tesla ont levé le voile sur, ce que les experts imaginaient déjà, la formidable avance de Tesla dans le développement de son logiciel et de son matériel de conduite autonome.
A un moment ou plusieurs constructeurs, dont PSA, ont annoncé, au dernier salon de l'automobile de Genève, freiner leurs projets de voitures autonomes pour atteindre le niveau 5, le dernier niveau d'autonomie, ne laissent-ils pas la voie totalement dégagée à Tesla ?
Il est vrai que l'approche de Tesla, démarrée il y a plus 3 ans, aboutit aujourd'hui sur un ordinateur (FSD pour Full Self-Driving), qui est intégré dans chaque véhicule depuis le 12 avril, et qui permettra une conduite entièrement autonome via de futures mises à jour logicielles envoyées automatiquement par Tesla. Cette stratégie de plateforme met la pression sur ses concurrents. Chaque jour qui passe, Tesla vend des voitures autonomes "potentielles" et n'aura qu'à décider d'une mise à jour, à priori gratuite en plus, pour devenir numéro un mondial. Mais cette stratégie met aussi la pression sur le législateur dans chaque État des États-Unis, qui en 2020 sera considéré par l'opinion américaine comme celui qui bloquera le processus quand Elon Musk dira qu'il est prêt, à grand renforts de tweets viraux ;-)
Tesla a rappelé les objectifs qu'ils s'étaient fixés et qu'ils ont tous tenus. La mise à jour vers la conduite autonome est prévue pour 2019 et le cas d'usages des "robotaxis" qui à défrayé la chronique, pour 2020. On y reviendra.
Rappelant la stratégie d'Apple, la stratégie de Tesla semble vouloir maîtriser de façon intégrée une plateforme incluant le hardware (sa voiture Model3 et la carte FSD), le logiciel Autopilot et le réseau pour la mise à jour à distance des voitures.
Il ne manque plus que les applications. La création du "Tesla network", le réseau des voitures que ses clients pourront lui confier pour créer la plus grande flotte de "taxirobots" dans le monde, sera l'une de ces applications à grande échelle de l'Autopilot.
Mais ces robotaxis qui ont été repris partout par la presse nous détournent de l'essentiel. Ce que les autres constructeurs n'ont pas, c'est tout simplement "la puce Tesla" et son architecture.
Cette architecture c'est une rupture par rapport à l'approche des Lidar (la petite bosse en haut de la voiture Waymo) qui cherchent à modéliser le monde puis à se déplacer dedans. C'est l'approche actuellement retenue par Google. Tesla cherche une architecture permettant de traiter beaucoup plus d'information à la seconde que ce que saura faire un Lidar.
Elon Musk mise donc à 100% sur l'intelligence artificielle avec un domaine déjà très opérationnel, la reconnaissance d'image et non la modélisation. Elle lui permet de réagir face à l'imprévu qui peut être reconnu, mais aussi de reconnaître des situations futures qui sont probables. Mais cette IA demande de la puissance de traitement embarquée car il n'est pas envisageable de traiter ces données à distance (sécurité, latence,...), peut-être un jour avec la 5G, mais pas aujourd'hui.
Tesla mise donc sur l'IA couplée à la puissance de traitement temps réel de l'ordinateur embarqué.
L’ordinateur des Model S/X est issu du partenariat avec Mobileye (racheté $15 milliards par Intel en 2017). Mais la vision de Tesla allait bien au-delà et surtout plus vite. L'entreprise s’est donc lancée dans le développement de son propre système après avoir recruté Pete Bannon (ex-Apple et ex-Intel) qui a présenté lui-même les résultats de son équipe depuis 3 ans. Mobileye est bien sûr toujours dans la course mais ne vise qu'une commercialisation de sa prochaine puce en 2022 et a été laissé sur place par Tesla.
Pour prendre en compte la criticité de ces traitements d'images en temps réel qui vont piloter la voiture, Elon Musk n'a pas oublié qu'il envoyait aussi des fusées Space-X dans l'espace et a développé une architecture redondante avec deux processeurs neuronaux, une dizaine de CPU et des GPU adaptés au traitement d'images, qui comparent en permanence leurs résultats (système de sécurité). Les données sont également cryptées.
Lors de votre prochain diner en ville avec des geeks, vous pourrez poser la question : "qui fabrique la carte processeur la plus puissante du monde ?". On devrait vous répondre nVidia, mais fièrement vous pourrez dire que FSD est presque sept fois plus rapide que la carte la plus rapide de nVidia (144 versus 21 TFlops). Là vous comprenez à quelle hauteur est la barre pour atteindre le niveau 5 pour les voitures autonomes et peut-être pourquoi les autres constructeurs qui cherchent un fournisseur, voient cela avec un horizon plus lointain.
Maintenant, avec une telle puissance, qu'il faudra bien alimenter, vous comprenez aussi que la seconde pièce maitresse est toujours la batterie, que Tesla a appris à maîtriser dans l'électrique !
Andrej Karpathy a pris le relais pour expliquer la partie neuronale du système, programmée pour détecter les objets et les situations pour en faire des prédictions et choisir des trajectoires à envoyer à l'Autopilot. C'est ici que Tesla a un autre avantage sur ses concurrents avec une plateforme unique, qu'ils maitrisent de bout en bout, et dont ils ont accès aux données (Mobileye est un sous-traitant et n'accède pas en direct aux données de ses clients constructeurs, et nVidia fabriquant de cartes est encore plus loin). Les plus de 100 millions de kilomètres parcourus en Autopilot jusqu'à aujourd'hui seront exploités par la partie neuronale pour améliorer ses prédictions. Dans le cas ci-dessous, de comprendre que le vélo est sur le porte bagage et non devant la voiture.
Si maintenant vous acceptez que l'autorisation de rouler en totale autonomie se fera quelque part dans le monde, Tesla pourra proposer à ses clients du Model3 avec Autopilot, qui y vivent, d'utiliser leurs voitures pour arrondir leurs fins de mois en servant de taxi !
Ce sont les fameux "taxirobots" annoncés et "Tesla Network" la plateforme de taxis qui sera proposée en 2020. Selon les calculs partagés, les propriétaires de Model3 pourraient générer jusqu'à $30.000 par an pour une voiture achetée $35.000 qui roulerait 16h par jour, de quoi les laisser investir à la place de Tesla pour créer le nouveau "Tesla Network" ! Je ne sais pas pourquoi, mais mon petit doigt me dit que la taxe sur les robots personnels productifs pourrait revenir à l'ordre du jour si cela se produit en France ;-)
Cet argument est bien sûr mis en avant pour booster les ventes, car les concurrents dans l'électrique, comme la eTron de GM, ne peuvent pas générer ces revenus (si on y croit). Et comme Elon Musk le dit lui même, il serait stupide aujourd'hui d'acheter autre chose qu'une Tesla !
Au "détail" près de l'autorisation administrative de rouler...
Mais c'est surtout un sacré pavé dans la marre d'Uber, puisque cela attaque directement son modèle économique d'organisateur d'une flotte de taxis dont on n'est pas propriétaire. Uber a fédéré des indépendants qui ont acheté leur taxi et n'a pas investi. Tesla vise la même chose, mais sans le conducteur! Uber qui cherche à s'introduire en Bourse, viens de fixer sa valorisation à $80 milliards alors que l'an dernier les chiffres de 120, et même 100 il y a un mois, circulaient. C'est peut-être un signe...
Les programmes Appolo, pour aller sur la lune, avaient à leur époque boosté les ordinateurs, leur puissance de calcul et surtout leur miniaturisation pour ce qui était de l'embarqué. Grâce à eux Mme Michu a pu avoir dans son salon une calculatrice dès 1972. Alors suivez les progrès de la voiture autonome car dans quelques années ils vont aussi certainement booster les innovations de l'embarqué dans d'autres industries et peut-être même à nouveau pour d'autres objets du quotidien de Mme Michu.
Le second enseignement est plus prospectif. Elon Musk pourrait créer une division "Tesla AI Platform", séparée de Tesla et reprenant le FSD et une partie de l'infrastructure centrale. Elle serait mieux valorisée par les investisseurs en travaillant en externe. Et puis, comme AWS qui aujourd'hui rapporte la marge d'Amazon, c'est peut-être cette division qui rapportera la marge à Tesla demain, quand les voitures électriques auront envahi la planète et que la guerre des prix fera rage.
Et puis, comme Amazon à ses débuts, le modèle Tesla de production de voiture n'est pas encore rentable...