dimanche 19 mai 2019

5G, en route vers un internet fragmenté

Quand début avril la Corée du Sud est devenu le premier pays à commercialiser la 5G via ses trois opérateurs nationaux (KT, SK Telecom et LG UPlus), la France en était à préciser son calendrier d'ouverture et surtout la procédure d'attribution des fréquences (initialement prévue l'an dernier). Cet écart de perspectives interpelle.

La 5G, nouvelle technologie de l'internet mobile mais surtout "ambiant", au débit annoncé vingt fois supérieur à la 4G, à la latence compatible avec le temps réel, qui prépare une rupture dans certains domaines pour les entreprises et les villes intelligentes (voir Êtes-vous prêt.e.s pour la rupture de la 5G?) risque de ne pas être aussi uniforme dans le Monde, comme l'a pu l'être l'Internet ces 25 dernières années.
Mais aux vitesses d'innovation différentes, s'ajoute un autre phénomène, plus politique.

De façon presque schizophrénique, chaque pays, peut-être échaudé par la dominance des GAFAs sur l'internet d'hier, veut reprendre le contrôle de l'internet de demain, tout en sachant qu'il doit laisser les acteurs économiques investir et développer les réseaux mais que ces derniers ne le feront que s'il y a des revenus associés au bout du tunnel.
Tout cela n'est pas sans rappeler le jeu de "tu me tiens par la barbichette" auquel on jouait déjà au XIe siècle en Europe, comme en atteste cette statue découverte à Poitiers ;-)
La 5G est en 2019 le terrain d'une guerre stratégique où, Chine et États-Unis, mais aussi opérateurs de réseaux, équipementiers, et opérateurs de services, se livrent les batailles décisives pour le contrôle d'une partie de ce réseau et de son écosystème.
La conséquence immédiate en sera des investissements plus risqués et des calendriers plus aléatoires, sauf sur les territoires où l'alignement entre l'État et les opérateurs est très fort, comme en Corée du Sud, mais aussi à Monaco ou à Singapour.

Et si la gouvernance numérique des États, devenait un avantage compétitif mondial ?

Dans cette bataille, la semaine dernière, nous avons quitté les escarmouches et Donald Trump a utilisé une arme digne de la dissuasion nucléaire. Huawei leader mondial des équipements de téléphonie chinois qui a dépassé les 100 milliards de chiffre d'affaires en 2018 et délivre terminal ou réseau à plus de 2 milliards d'individus sur terre, a été interdit d'utilisation de technologies américaines, comme Android où les composants Intel et Qualcomm.

Le même jour, Donald Trump signe un décret présidentiel pour instaurer une situation d'urgence nationale qui permet d'interdire à des sociétés américaines d'utiliser des équipements provenant de certaines sociétésHuawei n'est pas cité dans le décret mais c'est bien le déploiement de la 5G avec Huawei aux États-Unis qui est visé, puisque le géant chinois "serait un cheval de Troie" de Pékin mais peut-être aussi parce que l'Amérique est en retard avec ses champions nationaux.

Au-delà des effets d'annonce, GreenSI considère que c'est un événement politique majeur qui va accélérer la fragmentation de l'internet tel qu'on le connait. Ce billet n'a donc pas été publié dimanche comme chaque semaine, mais ce mercredi, après avoir attendu les réponses prévisibles de Huawei et d'autres acteurs.

La surprise à tout d'abord été lundi, l'annonce de Google de ne pas fournir les futures versions d'Android à Huawei et de vouloir restreindre les services de Youtube sur les terminaux Huawei. Pourquoi tant de précipitation ?
C'est vrai que Google est très peu présent en Chine, mais son annonce résonne très fort dans le silence des autres GAFAs. GreenSI ne serait pas étonné que son image mondiale perde un peu de sa superbe dans cette bataille.

Surtout que, de façon prévisible, Donald Trump a sorti mardi son arme favorite dans ses négociations bilatérales, la suspension du décret (90 jours) pour entamer les négociations avec une épée de Damoclès bien positionnée à son avantageZTE, autre société chinoise, avait en 2016 déjà été menacée de la sorte mais Donald Trump n'était pas allé jusqu'au bout - comme le veut la dissuasion nucléaire - et ZTE avait pu reprendre ses opérations. La guerre des nerfs avec la Chine est engagée qui ne manquera pas de riposter.
Pour GreenSI Google se retrouve dans une position délicate avec son annonce au monde entier que ses services indispensables sont une arme, alors qu'il déploie depuis des années une énergie importante à justement montrer qu'il n'a pas de position dominante (au moment ou certains veulent démanteler Facebook) ...

Huawei a immédiatement riposté en mettant sur la table les dizaines de milliers d'emplois américains qui seraient impactés. Puis la riposte s'est organisée et GreenSI était à Monaco à la conférence de Huawei sur la 5G dans la SmartCity, prévue de longue date dans le cadre de la première édition de ReadyForIT, qui tombait le jour des déclarations de son fondateur Ren Zhengfei. C'est Shi Weillang le DG France qui a répondu aux interrogations de ces deux derniers jours. 

Un Huawei qui est loin de se laisser intimider et veut protéger ses 180.000 employés dans le monde.
Monaco va prochainement annoncer le déploiement massif de la 5G - technologie Huawei avec Monaco Telecom dont Free détient une part du capital - et met le numérique au premier plan pour son développement futur. Monaco va donc devenir le premier pays entièrement couvert par la 5G, bon je sais c'est plus facile sur 2 km2, mais ça sonne bien quand on l'écrit ;-)
C'est donc un Huawei combatif, qui devant un parterre de plus de 200 DSI, a expliqué calmement pourquoi il était préparé, à court terme et à moyen terme à s'adapter et à poursuivre sa mission dans les infrastructures et les terminaux.Huawei a un plan B, préparé il y a 10 ans, qui va nécessairement fragmenter un peu plus Android sur son socle open source, et qui devra trouver des partenaires en termes de Cloud et d'applications. Cela prendra du temps, de l'argent, mais quand on pense à ce que Alibaba et Tencent ont fait en Chine en 10 ans, on ne voit pas trop où est le problème.

Et puis on a embrayé sur les capacités de la 5G de Huawei sur les infrastructures et bien sûr, sur les terminaux où Huawei a de l'avance avec sa propre puce. La bataille va être passionnante, et même si Donald Trump fait marche arrière dans les 90 jours, elle laissera des traces sur la confiance toute relative dans un écosystème américain qui ne s'était jamais trop politisé.

Pour GreenSI cela conduira à des décisions qui vont développer un internet plus fragmenté qu'il faudra prendre en compte dans les stratégies globales.
L'Europe, une fois de plus, assiste à la partie et pourrait même être impactée à court terme, si elle ne sait pas investir dans ses champions européens de la 5G comme Orange, le Suédois Ericsson ou le britannique Vodafone (quid du Brexit ?). Mais des investissements morcelés conduiront aussi à des solutions européennes fragmentées, alors que le choix des fréquences à utiliser en Europe n'a pas encore été homogénéisé et que les délais des procédures d'attribution amènent de l'incertitude.

En Italie, qui aurait du mal à boucler ses fins de mois, les prix des enchères 5G ont explosé. En Allemagne les opérateurs ont remis en cause les conditions d'attribution. En France, ce sera à suivre, mais le débat 3 ou 4 opérateurs revient régulièrement. Ne serait-il pas temps de mettre fin à cette démarche d'appel d'offres et d'utiliser les montants de licences ("raisonnables") pour faire des investissements en commun, au lieu de renflouer les caisses des États. Le tout dans le silence général des élections européennes...

Et les entreprises françaises dans tous ça ?
Elles vont devoir être prudentes à moyen terme, à la fois sur les terminaux, sur leurs futurs investissement dans la 5G et certainement à faire le deuil d'un Internet homogène comme on l'a toujours connu
La mondialisation a peut-être marqué une étape cette semaine.
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