mercredi 19 octobre 2016

La technologie pour repousser les frontières

Cette semaine à Pittsburg dans la célèbre Carnegie Mellon University se tenait la conférence "Frontiers" organisée par la Maison Blanche.

Une sorte de séminaire gouvernemental, ouvert au public et aux entreprises, pour imaginer l'avenir des Etats-Unis à 50 ans - et dans lequel participe le président lui-même qui ouvrait son discours par "Je suis un geek" ! ("I am a science geek. I am a nerd. And I don't make any apologies for it. It's cool stuff.")

Quel est le potentiel de l'Amérique à avancer vers ces frontières qui rendront le monde plus sain, plus prospère, plus équitable, et plus sûr ?

Sans aucun doute cette semaine était particulière pour mesurer l'écart de perspective sur le numérique et l'innovation entre ceux qui sont à la tête de la plus grande démocratie du Monde et ceux du pays des droits de l'Homme.

Quand cette semaine d'un côté de l'Atlantique on explore les frontières de la technologie dans tous les domaines, de la e-santé à l'espace ; en France on (re)découvre les lettres d'amour d'un ancien président, ce que devrait dire ou ne pas dire un président en exercice, et le débat des candidats à la prochaine présidentielle qui n'abordent pas la technologie. Ils auraient pu par exemple justifier les millions d'économies qu'ils envisagent dans le fonctionnement de l'Etat avec une modernisation technologique. Un jour les investissements dans les radars automatiques et la déclaration d'impôts obligatoire en ligne, finiront bien par réduire les besoins en agents de saisie...

De là à dire que l'Amérique continue d'être le pays le plus innovant au monde, avec le plus grand potentiel pour développer les industries de demain, il n'y a qu'un pas qu'on serait tenté de franchir par lassitude...
Une analyse aussi faite par Tariq Krim, entrepreneur du Web français (GénérationMP3, Netvibes, Jolicloud), qui déplore cette semaine dans une tribune dans le journal LePoint qu'il n'y a pas de stratégie technologique menée au plus haut sommet de l'État, à l'heure d'une "ultradomination par les plateformes américaines".

Alors quelles sont donc ces frontières, pour une nation qui a déjà repoussé vers l'Ouest celle de son Union (en 1850 Pittsburg était une ville à la frontière de l'Union, d'ailleurs créée par les français) et celle de l'Espace, une centaine d'année ans plus tard seulement?

(NB: GreenSI a choisi de les laisser anglais pour ne pas "altérer" leur classification)
  • //Personal : comment stimuler l'innovation dans la santé, et la médecine de précision pour augmenter la longévité de l'Homme et ses facultés à se "réparer"
  • //Local : comment les communautés s'approprient leur connectivité permanente et les données pour travailler ensemble et améliorer la qualité de vie pour tous les citoyens.
  • //National : comment faire des progrès en intelligence artificielle, en apprentissage automatique, développer l'automatisation et la robotique pour aider à résoudre les problèmes nationaux complexes et conduire à une plus grande prospérité.
  • //Global : comment faire des progrès dans les outils, les données et les services, pour lutter contre le changement climatique et développer de l'énergie propre et en quantité.
  • //Interplanetary : la NASA développe de nouvelles technologies spatiales pour un voyage habité vers Mars, envoyer des êtres humains dans le système solaire, non seulement pour le visiter, mais pour y rester (objectif fixé par un discours du président Obama en 2015).
Des dizaines de conférences ont cherché a rappeler là où on en était et les prochaines étapes.

Mais détaillons deux initiatives, que stimule l'administration Obama, avec un savant dosage d'entrepreneurs, d'universitaires, d'entreprises publiques et privées et même de philanthropes. La première (BRAIN) vise à mieux comprendre le cerveau humain, la seconde à créer un cerveau artificiel (IA) pour compléter celui des humains.

BRAIN : pour "Brain Research through Advancing Innovative Neurotechnologies" est une orientation de recherche visant à développer notre compréhension du cerveau humain. Un des objectifs est de produire une nouvelle image dynamique révolutionnaire du cerveau et montrer comment les cellules individuelles et les circuits neuronaux complexes interagissent dans le temps et l'espace.

À la clef bien sûr, il s'agit d'imaginer de nouvelles façons de traiter, guérir et même prévenir les troubles du cerveau et de trouver de nouvelles approches pour explorer comment le cerveau permet au corps humain d'enregistrer, traiter, utiliser, stocker, et de récupérer de grandes quantités d'informations, à la vitesse de la pensée.

L'Homme a souvent beaucoup appris en copiant la nature, aujourd'hui il essaye de se copier lui-même pour inventer les futures machines intelligentes. 

Future of AI : pour préparer les Etats-Unis à un avenir dans lequel l'intelligence artificielle (AI) joue un rôle de plus en plus important, la Maison Blanche a publié cette semaine un rapport sur les orientations de ce sujet: "Preparing for the future of AI". Ce rapport recense l'état actuel de l'IA, ses applications existantes et potentielles, et les questions que les progrès de l'IA soulèvent pour la société et la politique publique. Il liste aussi 23 recommandations comme la priorité pour toutes les agences gouvernementales d'ouvrir des formation sur les données et les standards pour l'IA.

Comme Isaac Asimov l'avait imaginé dans ses nouvelles il y a déjà plus de 50 ans, le plus grand défi de l' IA et de la robotique n'est pas technologique mais bien culturel et social.

L'intelligence artificielle va changer la façon dont nous vivons avec un degré de rupture important, peut-être le plus important dans l'histoire de la technologie. Et si on en croit les niveaux d'investissements actuels, c'est pour très bientôt, car les VC n'investissent pas à si long terme que ça et les premiers investissement massifs ont eu lieu fin 2014 et début 2015, il y a 18 mois.
 
Cette conférence Frontiers montre à travers des dizaines de présentations la promesse d'utiliser l'IA pour traiter les tâches complexes dans la vie quotidienne. Celles-ci vont de l'identification d'un cancer à un stade précoce à la meilleure circulation dans une ville, en passant par la réduction des coûts d'énergie.

Mais certains craignent déjà que les ordinateurs deviennent "trop intelligents" et Hollywood en a fait des films où l'IA, qu'elle soit un logiciel ou un robot, peut conquérir le monde.

La question clef avec ces futurs systèmes "autonomes", que ce soit une voiture ou un scanner de surveillance du domicile, c'est qu'il n'y a pas de méthodes pour évaluer l'impact de ces applications sur l'homme et sur son organisation sociale.

On l'a vu avec les taxis et l'automatisation d'une profession réglementée dans certains pays.
Mais on peut le voir avec la justice, par exemple, si un système expert démontre ses capacités à mieux maîtriser que l'Homme les milliers de pages de codes et règlements que l'Homme a produit dans tous les domaines. La machine peut-elle juger l'Homme sur la base des règles qu'il s'est lui même fixé ?

Dans les méthodes d'apprentissage de la machine qui mène à l'IA, un compromis doit être faite entre la précision et l'intelligibilité. Des modèles plus précis ne sont généralement pas intelligibles. Les modèles plus intelligibles comme les arbres de décision simples sont certes compréhensibles mais souvent peu précis.

Sommes nous prêts à faire confiance à la décision d'un modèle précis que nous ne comprenons pas?

Comme l'IA a le potentiel d'être un moteur de la croissance économique et de progrès social, elle va donc se développer ; alors ne tardons pas à répondre à cette question et aux multiples autres questions qui peuvent impacter notre culture ou notre organisation sociale.

Le gouvernement américain envisage donc de jouer plusieurs rôles pour animer le débat autour de ces questions, comme :
  • mettre l'IA à l'ordre du jour du débat public,
  • soutenir la recherche fondamentale,
  • surveiller la sécurité de l'Etat,
  • adapter les cadres réglementaires pour encourager l'innovation tout en évitant les conséquences économiques négatives pour certains secteurs reposant fortement sur la main d'oeuvre, 
  • et bien sûr utiliser l'IA pour servir le public plus rapidement ! 
Alors que le sommet de l'Etat s'investit dans une vision pour la société qu'il guide, ce n'est peut être pas une mauvaise idée si cette vision n'est pas téléguidée par d'autres intérêts ou par le conservatisme. Et puis une fois la vision posée et partagée avec tous les acteurs de la Nation, le suivi de sa réalisation est peut être aussi du ressort de ce guide.

D'ailleurs chaque frontière explorée à cette conférence a fait l'objet à la fin de la journée d'une synthèse pour orienter les actions futures ("call to action"). Pour certaines conférences, c'est Megan Smith, la Chief Technology Officer des Etats-Unis, oui une femme (#jamaissanselle !), qui s'en est chargé.

Même on sait que le contexte électoral américain incite à défendre le bilan de l'équipe en place, comment ne pas être admiratif sur la méthode de l'administration Obama pour contribuer à guider l'innovation technologique ? 
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