mardi 29 mars 2016

L'Empire DSI stoppé dans son expansion (partie 1)

Cette semaine la communauté des DSI s'est retrouvée à Cannes, à ITMeetingspour échanger et rencontrer ses fournisseurs. Ce fut aussi l'opportunité offerte à GreenSI, lors de la keynote d'introduction animée par Eric Montagne, de lancer une idée osée, surtout dans une salle comble de Directeurs des Systèmes d'Information:

Pourquoi il est temps de quitter la DSI !

Sous-entendu quitter la DSI actuelle. Cette DSI "Empire" qui s'est étendue avec l'informatisation croissante de toutes les fonctions, afin de créer une nouvelle organisation des SI dans l'entreprise, beaucoup plus adaptée à l'économie numérique.

Si la DSI était un Empire, la "nomination" de son Empereur daterait certainement du début des années 1980, avec notamment cet article de 1984 de la business school du MIT (Sloan School of Management), qui à l'époque anticipait un changement dans les systèmes informatiques et appelait les Directions Générales a nommer et parler de "Corporate Information Systems Officer" pour le pilotage de l'informatique.
Le terme de CIO, ou Directeur des Sytèmes d'Information, était né et ancré dans l'organisation de l'entreprise. L'acte fondateur de l'Empire était posé avec un premier agenda de management de toute l'information de l'entreprise.

L'âge de l'expansion

Tout ce qui, de près ou de loin, allait ressembler à du traitement de l'information dans l'entreprise, allait être absorbé par cet Empire, pendant une phase d'expansion qui a duré au moins 20 ans (jusqu'en 2000). Tout, y compris en prenant le contrôle des scanners, des photocopieurs, des badgeuses et plus récemment des smartphones, et en cherchant à les raccorder sur un réseau unique.

Au coeur de ce réseau on y retrouve les premières "fortifications" de l'Empire: le mainframe, puis les machines départementales, devenues ensuite le Datacenter. Leur accès était limité et tout passait forcément par un pupitreur des troupes de l'Empire.

A noter qu'à cette époque il y avait quasiment autant d'hommes que de femmes dans les troupes informatiques de l'Empire.
C'est avec l'expansion vers les PC utilisés comme postes de travail, que l'informatique s'est moins identifiée avec son datacenter et plus avec ses PCs. 

Or plusieurs études montrent que le marketing du PC l'a réservé aux jeunes garçons (comme cible des publicités) et que le PC, puis l'informatique sont devenus de moins en moins attractifs dans l'imaginaire des jeunes filles, qui mécaniquement ont été de moins en moins nombreuses à rejoindre l'Empire (courbe rouge). 

Vingt ans plus tard, on se retrouve donc avec un Empire à 80% masculin, où le "réflexe du pupitreur" est encore bien ancré (mettre un intermédiaire entre le SI et l'utilisateur), qui a éliminé les directeurs des télécommunications ou des services généraux qui voulaient régner sur les équipements numériques, mais dont l'innovation commence à basculer du B2B vers le B2C, du hardware vers le software (avec le PC puis le smartphone). 

Et pour ce qui concerne le software, le succès de l'Empire DSI est plus mitigé, c'est même peut-être son talon d'Achille.

En 1995 le "Chaos report" du Standish Group analysait que seulement 16% des projets informatiques réussissaient totalement (et 1/3 abandonnés), puis en 2004 c'était 29%. Seule l'agilité, non encore déployée sur la totalité de l'Empire, allait améliorer drastiquement ce score à partir de 2012 (voir DevOps l'autre moteur de la transformation digitale).


L'Empire devait entrer dans un nouvel âge, celui de sa gouvernance.

L'âge de la Gouvernance

Et pour cela il installa ses "barons" aux quatre coins de l'Empire pour faire régner l'ordre et réduire les risques des projets, les risques techniques, et déjà les risques de sécurité. Des barons qui normalisent les processus de la DSI (ITIL), sa gouvernance (CoBIT), ses relations avec les métiers (MOA/MOE qui créée l'AMOA), les projets (Cycle en V), à la recherche du parfait alignement stratégique entre l'IT et la stratégie de l'entreprise.

Dix années d'amélioration continue pour arriver à faire fonctionner ensemble toutes les conquêtes de la phase d'expansion.
Dix années de transformation de l'organisation pour mettre en place des organisations et des processus SI, qui parfois devenaient la finalité, en oubliant que le SI était au service de toute l'entreprise. Une gouvernance qui a laissé le champ libre à la critique et à l'émergence de sobriquets comme "Monsieur Non" ou la "méthode 5C" ("c'est c.. mais c'est comme ça").

Mais surtout une gouvernance qui a perdu de son autorité comme le montre la partie croissante des budgets en systèmes de traitement de l'information non gérée par la DSI.

Enfin, l'alignement stratégique suppose l'existence de deux objets: la stratégie de l'entreprise et le SI. La première une fois créée servant à aligner la seconde. 

Mais dans une économie numérique ces deux objets ne font qu'un, voir même les services numériques existent avant que l'entreprise ne trouve sa stratégie par itération successive. Le DSI ne peut plus se réfugier derrière le métier ou la MOA pour décider afin qu'il analyse et agisse, il est sur le front et doit parfois agir avant elle. Le SI devient opérationnel.

L'âge du Déclin

Voila donc que dans les années 2010 apparaît un nouvel âge qui va fortement remettre en question la gouvernance et les méthodes de la DSI. Un âge que GreenSI appelle, avec le recul, l'age du déclin pour symboliser cette perte d'autorité de l'Empire.

Avec l'installation de l'Internet comme plateforme mondiale d'échanges, la numérisation grandissante de la musique, des films, des communications, de nouveaux systèmes apparaissent et échappent aux évolutions du SI. Par exemple l'emblématique iPhone, vendu a des millions d'exemplaires, et dont l'usage, y compris par la DG, pas été validé par les règles de la gouvernance SI.

C'est une période d'innovation permanente qui démarre alors que la DSI recherche et s'organise pour la stabilité.

Elle déstabilise et cerne totalement l'Empire avec l'apparition de l'infrastructure en tant que service (SaaS, PaaS, IaaS) payée à l'usage, qui challenge les coûts et la disponibilité du Datacenterde l'Empire, ou avec le besoin d'agilité pour s'adapter rapidement a un environnement économique instable.

C'est aussi le passage d'un internet 1.0 (communication, e-commerce) que la DSI a mis 10 ans à maîtriser, à un internet 2.0 social et collaboratif (BYODBYOApp), et bientôt 3.0, un internet des objets (IOT) qui amène une nouvelle rupture majeure dans la quantité de données, de flux et d'acteurs à gérer et sécuriser.


Dans cet "âge du doute", on va assister, devant la pression des métiers et de la DG, a l'adoption de bon sens de plusieurs innovations externes à la DSI, par exemple l'open source, le Cloud public ou le SaaS, mais sans remettre en cause le modèle de gouvernance établi par les barons. L'autorité de l'Empire va baisser et parfois même être contredite par l'entreprise, mais surtout par l'insolent succès technique et commercial des plateformes de l'Internet. 

Ce qui apparaissait au fur et à mesure comme des innovation isolées, était en fait l'émergence d'un continent numérique, beaucoup plus vaste et cohérent, que ce que l'on pouvait l'imaginer au départ. Un continent numérique qui va aspirer jusqu'à 25% de l'économie mondiale d'ici 2020 et où les systèmes d'information privés des entreprises, sont une faible part de la puissance de calcul et une infime part des mises en réseau et des objets connectés.

De nouveaux barons fixent mondialement les nouvelles règles sont des plateformes, financées par le B2B (Salesforce) ou le B2C (Amazon). Qui pense encore que Salesforce est logiciel CRM ou qu'Amazon est un libraire ? Personne bien sûr !

Ces deux plateformes sont présentes sur tous les domaines de ce nouveau continent numérique et préfigurent les systèmes d'information de demain. Avec ce modèle, Amazon est devenu le premier distributeur mondial et a créé AWS l'activité qui a eu l'une des plus fortes croissance de revenus de l'histoire (a atteint $10 milliards en moins de 10 ans). C'est ce modèle que la DSI suivra pour sa propre adaptation et accompagner la transformation de sa propre entreprise à la recherche du succès d'un Amazon. 


C'est là que le Directeur des Systèmes d'Information doit ouvrir les yeux, oublier son acte fondateur de 1984 qui lui donnait les pleins pouvoirs sur le numérique, et se demander quel est vraiment son rôle dans cette nouvelle économie !

Surtout que ce continent continue de faire émerger de nouvelles terres à conquérir: les villes intelligences, le machine learning, le prédicitf, la réalité augmentée ou et les robots matériels ou logiciels, pour ne citer que celles que l'on voit déjà apparaître en 2016.

Des terres où le logiciel, le traitement de l'informatique et les algorithmes sont la compétence clef, mais où l'autorité de la DSI est fortement challengée par de nouveaux rôles comme le "Chief Digital Office" pour conduire "la transformation numérique", le nouvel acte fondateur du prochain âge de l'Empire.

Signe des temps, la rubrique "Priorités DSI" a aussi disparu de ZDNet et  la rubrique "Transfo. Numérique" l'a remplacée... 



Dans le prochain billet nous aborderons ensemble les deux derniers âges de cette transformation, qui après 2016 verront la DSI se restructurer puis trouver sa nouvelle place dans une économie numérique.


Lire  la partie 2 : N'est-il pas temps de Rebooter l'Empire DSI ?
Previous Post
Next Post
Related Posts

L'humour de ceux qui aiment le numérique