Lors des API Days à Paris dont on a parlé dans le billet précédent, j'avais gardé pour ce billet la passionnante conférence sur la blockchain de Michel Khazzaka de CSC. Pourquoi GreenSI s'intéresse-t-il à ce sujet associé au Bitcoin et à une monnaie virtuelle ? Et bien parce que le Bitcoin n'est que la première implémentation d'une nouvelle architecture informatique de confiance qui pourrait révolutionner d'autres industries que la Banque: la blockchain.
Blockchain : de quoi s'agit-il ?
Techniquement, c'est une architecture répartie avec des noeuds actifs (serveurs) qui participent au fonctionnement du système global. Cela permet de gérer une base de données décentralisée et cryptée dans laquelle toutes les transactions y sont enregistrées et accessibles à tous. Tout le monde peut vérifier les échanges. Cette architecture permet de réduire fortement les coûts des transactions devant être authentifiées par rapport aux méthodes reposant sur des intermédiaires multiples.Elle a été imaginée par Satoshi Nakamoto et a fait l'objet d'une publication en 2008.
Pour donner une image, la confiance que vous avez aujourd'hui dans le solde de votre compte bancaire est assurée par le fait que votre banque vous met à disposition un relevé de compte avec toutes les transactions. Vous pouvez théoriquement le recalculer depuis l'origine du compte. Imaginez maintenant généraliser ce système en partageant un méga-livre de comptes, crypté pour que chacun accède uniquement à l'information dont il a besoin. De quoi mettre tout le monde en confiance.
Le Bitcoin est une première implémentation de cette architecture de blockchain. Il modélise une monnaie virtuelle dont on peut non seulement maîtriser la quantité en circulation mais aussi en vérifier les échanges et les dépositaires. Les serveurs informatiques répartissent la puissance de calcul, alimentent et gèrent cette base de données répartie. Et pour cela se rémunèrent bien sûr...
Le Bitcoin permet d'acheter là où les particuliers ou les commerçants ont confiance en ce réseau (et ont un accès avec un compte qui trace les opérations). Donc potentiellement de gérer les transactions financières sur la planète. La question très médiatisée de la valeur du Bitcoin n'a pas de rapport avec ce mécanisme créateur. Comme avec le cacao ou le manganèse, on peut toujours spéculer sur l'offre et la demande.
Que risquent réellement les banques ? De se faire "désintermédier" comme tiers de confiance pour les transferts de monnaie électronique. En France, Paymium est un opérateur qui vous permet d'ouvrir un compte en Bitcoin.
Blockchain, cela ne concerne pas que la Banque
Ce type de mécanisme est plus répandu qu'on pourrait l'imaginer dans la vie économique.Par exemple si vous détenez des actions d'une entreprise dans votre épargne, c'est que vous avez confiance en leur valeur. Cette valeur dépend de la certification des comptes de l'entreprise par des auditeurs indépendants, qui analysent en interne les données relatives à la publication des résultats.
Et on peut imaginer des mécanismes similaires pour certifier l'atteinte des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serres fixés par la COP21.
Le potentiel d'utilisation des blockchains dépasse donc le cas d'usage du Bitcoin.
Par exemple, un projet comme Ethereum vise a mettre en place une nouvelle plateforme d'implémentation de la blockchain non limitée aux paiements.
Des dizaines de startups financées par des fonds d'investissements, comme Chain.com qui aide les grandes entreprises à mettre en place la technologies, ou Onename.com qui propose une application pour gérer les identités nécessaires dans le mécanisme, se sont créés en 2013 et 2014, pour tenter de se faire une place dans ce nouvel Eldorado.
Comme Uber représente la nouvelle économie des plateformes collaboratives, le Bitcoin est le symbole d'une nouvelle architecture de la confiance qui peut amener une rupture là où aujourd'hui on traite ce sujet de façon moins rapide (certification des comptes annuelle), plus compliquée (des métiers d'experts) et surtout plus chère (coût par transaction certifiée).
C'est donc une autre forme de transformation numérique qui montre son nez à l'horizon.
Alors préparez-vous a entendre à l'avenir que telle ou telle industrie s'est faite "Bitcoiniser", par analogie avec "l'Ubérisation ". Cela prendra du temps pour atteindre les individus, et donc beaucoup d'investissements, mais les positions des premiers entrants se prennent certainement maintenant.
Quelles sont ces industries qui seront exposées les premières ?
Lors de cette 6eme #APIConnection, Michel Khazzaka nous a livré ses premières intuitions. Outre le transfert d’argent, tout ce qui a trait à l’identité numérique, à la gestion de titres, ou aux marchés est concerné en priorité:
Pourtant, mis à part quelques articles dans la Banque, et maintenant GreenSI, pas grand monde en parle en dehors de cercles spécialisés. En France la tendance "Bitcoin" n'est même pas sur le radar dans les recherches Google (alors qu'elle l'est aux Etats-Unis). Pourtant The Economist en a fait sa couverture fin octobre de cette année et sa couverture est sans équivoque sur le potentiel de la blockchain pour faire tourner le monde ;-).
D'où certainement cette initiative de la CDC cette semaine pour réveiller la France de la Finance (communiqué), et lancer un laboratoire sur la technologie blockchain avec des partenaires comme AXA, BNP Paribas ou le Crédit Agricole. L'objectif de ce groupe est d'explorer et d'évaluer le potentiel de cette architecture décentralisée de la confiance. D'autres membres pourront les rejoindre au premier trimestre (contact: @pdewost).
Blockchain, ça ne marchera jamais !
On ne parle donc pas trop de la rupture potentielle que la blockchain peut amener, en revanche on parle beaucoup de pourquoi cela ne marchera pas.Le premier argument des détracteurs est tout simplement la taille du stockage, puisque par construction, conserver l'ensemble des transactions et tout recalculer n'est pas le premier algorithme qui vient naturellement à l'esprit pour économiser de l'espace de stockage. Donc si la blockchain se développe, l'explosion des volumes sera une menace a son développement et donc... ça ne marchera pas. CQFD.
La réponse de Michel Khazzaka, lorsque la question est posée dans la salle, est pourtant simple. La croissance des volumes de stockage est plus forte que celle des transactions, et le Bitcoin n'est pas le seul a réclamer du stockage exponentiel.
GreenSI ajoute aussi qu'Internet s'est développé avec un nombre d'adresse IP limité, déjà saturé alors que les objets connectés arrivent à peine. Depuis l'origine, les solutions se mettent en place quand les problèmes se présentent, soyons optimistes.
D'autres mettent en avant que les premiers utilisateurs des Bitcoins sont le crime organisé, ou les vendeurs de drogues ou d'armes, via leur ecommerce dans le "deep web". Paradoxalement cela semble plus démontrer l'infaillibilité du cryptage de ce système que les limites d'un modèle. Rappelons nous que les premiers téléphone mobiles en France étaient aussi très appréciés par les mêmes, jusqu'à ce que l'on impose une carte d'identité pour acheter une carte SIM...
En conclusion, les freins actuels ressemblent plus à une mauvaise connaissance des enjeux et un décalage de perception entre les grandes entreprises, qui sont les acteurs tiers de confiance dans de nombreux domaines, et la réalité de la technologies blockchain. De nouveaux acteurs émergent, principalement aux Etats-Unis, et dans les acteurs traditionnels le NASDAQ s'est déjà dit intéressé par la technologie blockchain pour l'évolution de sa plateforme.
Alors espérons que l'Europe et la France sauront prendre le virage à temps.