dimanche 23 février 2020

Europe de l'IA: le début d'une vision?

GreenSI adore les hasards du calendrier.
Ainsi la semaine ou le célèbre institut de technologie MIT annonce aux États-Unis qu'une IA a découvert une molécule candidate pour un nouvel antibiotique, la recherche de la Commission Européenne (JRC) sort un document pour expliquer que l'IA c'est bien, mais que cela peut fragiliser nos infrastructures et surtout qu'il faut stopper les algorithmes que l'on ne comprends pas.

Certes ce sont des questions importantes à long terme. Mais avant de s'imaginer dans un scénario de science fiction, celui qui sera sauvé demain par cette molécule antibiotique appelée Halicin (en référence à HAL de 2001 Odyssée de l'espace) se fichera bien de savoir si on s'explique ou pas pourquoi il est en vie !

GreenSI espère donc que ce rapport "Robustness and Explainability of Artificial Intelligence : from technical to policy solutions" sera le dernier des rapports où on passe plus de temps à expliquer ce qu'il ne faut pas faire, que de se donner une vision pour l'Europe sur ce que l'on pourrait faire pour rattraper notre retard et comment le stimuler.
Voici quelques morceaux choisis des recommandations, qui pour GreenSI sont "hors sol" dans le contexte que l'on connait du retard européen mais aussi vu des démarches d'innovation :
  • "À la lumière des récents progrès de l'IA, les graves conséquences négatives de son utilisation pour les citoyens et les organisations de l'UE."
  • "Les concepts de robustesse et d'explicabilité des systèmes d'IA sont apparus comme des éléments clés pour une future réglementation de cette technologie."
  • "La mise en œuvre d'approches d'explicabilité dès la conception dans les composants de l'IA qui garantiraient le respect des droits fondamentaux."
  • "Une discussion technique sur les risques actuels associés à l'IA en termes de sécurité, de sûreté et de protection des données."
Pourtant la réalité est assez limpide : l'Europe n'a pas à rougir des compétences en matière d'IA, comme cela est mis en avant par toutes les études sur le sujet, mais l'Europe manque de champions de taille internationale, que ce soit d'ailleurs du privé ou du public, quand on pense aux laboratoires de recherche.
Le meilleur moyen de passer de la théorie à la pratique est de pratiquer!

Donc ce dont l'Europe à besoin n'est pas un carcan de nouvelles politiques basées sur des concepts qu'il faudra respecter pour tenter de bloquer les autres (ou alors on suppose que la bataille anti GAFAM et BATX est déjà perdue?), mais bien d'autorisations, d'ouvertures ou de stimulation pour le passage à l'action des entreprises et laboratoires de recherche européens. C'est un changement total de posture de la Commission Européenne qui est attendu.

Prenons l'exemple de Djingo, l'IA assistant vocal développée en Europe par Orange et Deutsch Telekom, dans le plus strict respect du RGPD. Il sort avec deux ans de retard. Djingo aura du mal à rattraper les AlexaBaidu et Google Home qui n'ont pas hésité à collecter le plus d'enregistrements de voix de personnes pour entraîner leur assistant dans toutes les langues. Et quand ce dernier ne comprend pas son utilisateur, ils n'hésitent pas non plus à faire écouter la question par un humain pour améliorer la compréhension de la machine, même sans toujours avoir le consentement éclairé et explicite de l'utilisateur...  

Ce dont l'Europe a besoin c'est d'une vision et d'un chemin pour développer les mégas bases de données qui permettront à la technologie d'IA actuellement la plus prometteuse (le machine learning) de développer des services innovants.

Heureusement cette semaine a eu lieu également la première conférence du commissaire européen au marché intérieur, Thierry Breton, incluant le numérique, sur la stratégie de l'Europe en matière de données et d'Intelligence Artificielle. GreenSI y a vu un le début d’une inflexion prometteuse, puisque l'on commence a dire ce que l'on veut faire, nous les européens, et non uniquement à vouloir réglementer ou alerter sur ce que les autres (américains et les chinois) font

Revenons sur le vocal comme illustration de ce changement de posture vers le pragmastisme. Cette technologie permettrait de baisser la barrière de la langue dans l'intégration européenne. Ce serait un comble que les traducteurs temps réel présentés au CES 2019, et qui traitent toutes leurs requêtes aux États-Unis, soient les seules options pour un européen. Voire que la seule réponse des européens soit de les interdire pour cette raison. D'ailleurs, le parlement européen est le premier utilisateur de traducteurs et d'assistant pour fonctionner en 23 langues (plus de 1000). Il pourrait justifier à lui tout seul le travail sur les assistants vocaux multi-lingues.

Alors pourquoi ne pas se fixer une vision de communication fluides entre européens facilités par l'IA, pour baisser cette barrière ? Mettre en œuvre les autorisations temporaires permettant d'arriver à accélérer les initiatives, même si elles ne sont pas toutes RGPD compatibles. Ce serait plus moteur que d'aller débattre sur l'explicabilité et la robustesse des algorithmes de Deep Learning, non ? Des algorithmes qui d'ailleurs on pour l'instant ont plus de chance d'être créé ailleurs qu'en Europe !

Dans ce contexte l'intervention du commissaire européen Thierry Breton apparait comme une réelle inflexion avec une approche tournée vers la conquête et le pragmatisme, au moins dans sa communication. Il propose de construire une stratégie sur le champ laissé libre autour des données industrielles ce qui tranche avec les approches précédentes, et évite les freins et les débats sans fin autour du RGPD. Il ouvre également une consultation publique et un calendrier accéléré.

Un billet de GreenSI de 2017 abordait d'ailleurs la question "Va-t-on assister à une bataille pour les données des machines ?" et mettait en garde les entreprises à prendre en compte cette perspective et se préparer à protéger dans des contrats la propriété des données, des modèles, de leur accès ou de l'interdiction de leur accès, sous peine que d'autres ne le fassent sans leur demander leur avis.

Un appui de l'Europe serait certainement un formidable accélérateur de cette protection d'une fabrication industrielle qui est la première mondiale. Car la collecte, la modélisation et l'analyse des données des secteurs industriels a de la valeur, et un scénario "à la GAFA" qui tire toute la valeur des données ou du logiciel n'est pas impossible si on laisse les acteurs du Cloud (SalesforceMicrosoft en tête) aspirer les données des entreprises dans leur data centers sous prétexte d'y afficher des tableaux de bord.

Le traitement des données industrielles, c'est même le cœur de la transformation digitale des entreprises de ces secteurs. Donc indirectement c'est un soutien à la digitalisation des entreprises européenne.
La guerre des données industrielles peut donc commencer et l'Europe est certainement un champ de bataille majeur, à cause de son histoire industrielle et du leadership mondial en la matière des entreprises européennes. 
Investir dans des infrastructures de gestion de données et développer une approche et des écosystèmes sectoriels fait donc parti des mesures qui seront vraisemblablement proposées, visant à créer un marché unique des données industrielles. L'open data des entreprises n'est pas loin, mais pas dans une approche gratuite comme elle a été poussée jusque-là (voir: De l'open data à la stratégie de données).


Ces infrastructures commencent sur le terrain, partout où il y a des machines, dans les usines, sur les chantiers, sur les routes, dans les villes intelligentes. L'enjeu des réseaux aériens pour les connecter, collecter les données et les stocker sont des enjeux essentiels.

C'est dans ce contexte qu'il faut maintenant analyser le développement de la 5G en Europe, l'utilisation de technologies non européennes, et la criticité de son développement rapide en Europe. La 5G n'est pas que le sujet des opérateurs et des services de vidéos entre particuliers, c'est bien sûr aussi le sujet de la collecte de données industrielles en masse, en temps réel avec une faible latence, et en complément aux réseaux actuels.
C'est également dans ce contexte qu'il faut revenir sur un billet de 2018, "Edge computing, qui va gérer les données ?" car la majorité des données industrielles ne remonteront plus dans le Cloud et les data centers, comme le paradigme actuel le veut. Elles seront gérées en périphérie ("Edge computing"), cette infrastructure composée de tous les équipement mobiles, des robots d'usines aux véhicules connectés, en passant par les objets communicants.

Cette inversion de paradigme du stockage de données est une disruption pour le modèle des GAFAs, qui pour lutter contre cette vision vont jusqu’à proposer un tarif gratuit pour l'entrée des données dans leur Cloud, et un paiement uniquement à la sortie.

Enfin on constate que l’IA n'est pas une technologie isolée mais un moyen d'innover par intégration de technologies. Ce sera encore plus vrai dans l'industrie avec ses objets connectés, l'Edge et les réseaux comme la 5G (voir : Pensez à relier les technologies entre elles). L'intelligence artificielle doit donc amener à recomposer les industries et les services, et hybrider industriels et champions du numérique. Mais pour favoriser les rapprochements et le développement de ces grands acteurs européens il faudra peut-être que l'Europe revienne sur ses règles de la concurrence qui parfois freinent leur émergence.

D'une Europe réglementaire à une Europe visionnaire, la conduite des changements sera longue à la Commission Européenne. Mais GreenSI veut voir une inflexion dans les dernières annonces du plan IA de Thierry Breton. Son approche aussi est différente puisque c'est via un livre blanc et une consultation publique ouverte jusqu'en mai (disponible ici) qu'il veut enrichir cette stratégie.
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