vendredi 30 novembre 2018

Le design thinking pour réconcilier Digital et SI

Dès 2015, GreenSI, qui suit les méthodes agiles, faisait le lien dans un billet entre le "Lean management" et la transformation digitale.

En 2017 un autre billet mettait en évidence que la non-régression fonctionnelle, chère aux DSI, devenait un frein à la transformation et le symbole d'un certain conservatisme qui pouvait mettre l'entreprise en péril. Dans le même temps le design des services et de l'expérience utilisateurs (UX) faisait gagner les startups et était à la source de la célèbre "ubérisation".

Agile, Lean, Design thinking, ce billet explore une convergence qui, en 2018, devient de plus en plus évidente, et qui est synonyme de transformation des entreprises, digitale ou pas.

On assiste à la fin d'un cycle, celui de la domination du processus.

 
Dans les années 1980s le BPR - Business Process Reengineering - est né dans les écoles de management de la côte Est (Harvard, MIT) et a été popularisé par le livre de J.Champy et M.Hammer "Reengineering the Corporation: Manifesto for Business Revolution".

Cette "invention" du processus a ensuite influencé les grandes entreprises et les multinationales américaines qui se sont toutes lancées dans la reconfiguration de leur processus, faisant la fortune des cabinets de conseil créés à la même époque.

Le BPR est une rationalisation des activités de l'entreprise au travers de processus définis et maîtrisés, cohérents depuis la définition d'une mission, à son implémentation dans les outils, et laissant peu de place à l'interprétation par l'humain.

Cette démarche est arrivée au bon moment. En effet, l'informatique se développait dans les entreprises et elle a pu en profiter pour structurer l'informatisation des processus de l'entreprise via les ERP - progiciels de gestion intégrée - quand la majorité des échanges numériques se faisait encore au sein même de l'entreprise. Mais le faible taux de succès de ces projets, comme l'a souvent rappelé GreenSI, doit nous alerter sur les efforts importants de conduite des changements à mettre en œuvre quand la technologie et l'outil prennent le pas sur l'humain.

L'internet a changé la donne dans les années 2000.

Aujourd'hui, les échanges se font avec l'extérieur de l'entreprise via internet. Les plus grandes entreprises du NYSE et du NASDAQ sont à l'Ouest des États-Unis, et pour devenir leader mondial, à l'instar de Tesla, l'innovation a supplanté les processus.
C'est donc du côté de la Californie, Stanford ou Berkeley, qu'il faut chercher les études académiques pour comprendre l'évolution de cette nouvelle économie. Et c'est à Stanford qu'une démarche de résolution de problème et de création de valeur a émergé : le "Design thinking".

Elle a ensuite été reprise par plusieurs auteurs dont le plus emblématique est certainement Tim Brown, du cabinet de design IDO, dans son livre traduit en français, "L'esprit Design".

Le Design thinking a été utilisé au départ dans le marketing et la transformation d'entreprises comme Apple, GE ou SteelCase, mais c'est la révolution digitale qui lui donne un nouvel élan depuis dix ans. Cette révolution a essayé et réussi à appliquer le design à la conception des nouveaux services numériques. Et puis l'expérience utilisateur devient déterminante comme l'ont montré beaucoup de startups.

Le Design thinking est donc vu par GreenSI comme le nouveau BPR. Il est fondé sur l'humain et l'utilisateur et non pas sur les processus.
Le Design thinking n'est pas une mode. C'est une nouvelle façon d'adapter l'entreprise et sa proposition de valeur à un contexte de plus en plus volatile, incertain et complexe. Progressivement toutes les démarches initialement "planificatrices" de l'entreprise ne sont plus adaptées à ce contexte et vont devoir s'adapter en s'inspirant du design thinking. Ne pouvant voir loin, elles vont "s'agiliser" pour réagir vite.

L'Agilité, dans les développements informatiques, le Lean dans les processus et le Design thinking dans la conception, sont trois approches de déploiement et d'amélioration continue de l'entreprise, de son organisation et de ses services. Ces méthodes ont en commun de casser les silos en prenant comme arbitre l'utilisateur final et de chercher à mettre en place le plus rapidement possible les solutions les plus simples possibles. C'est la notion de MVP - Minimum Viable Product.


Le Design thinking est un processus en plusieurs étapes, dont le nombre dépend des auteurs (ici 5 dans la démarche classique). Ces étapes s'enchaînent logiquement mais ne doivent pas être prises comme un processus linéaire. On peut faire plusieurs cycles, revenir à l'empathie pendant qu'on prototype, etc. 

Si l'agilité (Scrum) est la démarche du développement informatique, le Design thinking devrait être celle en amont pour les métiers (ou maîtrises d'ouvrages) et pour définir l'offre qui sera développée. Bien que les deux amènent de l'agilité dans le processus de conception, ne les confondons pas.
 

La première étape (l'empathie) permet de se mettre à la place du client, de l’observer, de comprendre ses aspirations. Dès cette étape on voit l'écart avec l'approche classique de la maîtrise d'ouvrage qui collecte les besoins puis représente l'utilisateur pour la conception des applications, voir qui définit les besoins à la place de l'utilisateur en prenant sa casquette normative. Avec le design thinking, l'utilisateur ou le client est présent en permanence, il est le sujet d'attention de l'équipe.

Un retour d'expérience personnel est celui d'un projet où le client final était sur un poster présent en permanence dans la salle projet pour le voir en rentrant le matin et ne jamais l'oublier.

C'est donc après avoir bien compris comment le client interagit avec son environnement que l'on est en mesure de passer à l'étape suivante (Define) et de formaliser, synthétiser et traduire ses besoins en challenges compréhensibles et inspirants.

On imagine le bouillant Elon Musk en train de challenger ses équipes qui lui expliquent qu'un voyage spatial coûte cher parce qu'il faut à chaque fois un nouveau lanceur, et lui de poser le besoin par une simple question : « Comment faire pour récupérer le lanceur à chaque tir pour casser les prix d'un lancement?». 

L'étape d'idéation adopte la méthode du brainstorming pour proposer le maximum d’idées originales répondant à ce besoin afin de trier et sélectionner les idées les plus créatrices de valeur. Elles seront concrétisées au travers de prototypes testés en réel avec des clients ou des utilisateurs. Les résultats de ces tests enrichiront les idées initiales ou les abandonneront ("fail fast, fail cheap").

Cette démarche est aux antipodes de l'approche fonctionnelle classique qui veut que pour remplacer une application il ne faut aucune régression fonctionnelle. Comme si le client ou l'utilisateur final n'étaient pas capable de comprendre que les choses peuvent changer régulièrement, surtout s'ils sont associés dès le départ à ce changement. 

La non-régression fonctionnelle est une idée qui semble sensée mais qui est pourtant à bannir dans un monde digital (FlipYourMind !)
 

Pour bien comprendre, partons de la valeur d'une application. On pourrait la définir comme la somme des besoins satisfaits divisée par le coût pour les satisfaire. 
Cette formule présente l'intérêt de prendre en compte la dimension coûts pour chercher à satisfaire un besoin à moindre coût.
 
Une telle définition permet de comprendre simplement qu'il y a plusieurs stratégies pour créer de la valeur quand on refond une application. Ne pas changer les besoins en est une, mais il y en a d'autres !

On peut aussi réduire les coûts avec des fonctionnalités devenues moins pertinentes, mais également en ajouter si on augmente les besoins satisfaits de façon plus importante. Le Design thinking amène donc une démarche pour ouvrir de nouvelles pistes de discussions dans la conception des applications. Le résultat sera un MVP - Minimum Viable Product - qui produit le maximum de valeur, et qui fait le lien avec les méthodes agiles, comme Scrum, utilisée pour la réalisation.

Donc plus qu'à l'agile qui anime les équipes de développement, il devient essentiel de former toutes les maîtrises d'ouvrages au design thinking, pour agir dès l'amont et la spécification du besoin, sur la création de valeur. La DSI, elle, aura formé ses équipes à l'agile (Scrum), et comprendra le mode de fonctionnement défini par les métiers pour délivrer de façon plus fluide la valeur souhaitée. Et si la bienveillance s'installe entre métiers et DSI, alors l'amélioration continue et la démarche Lean permettra à chacun d'apprendre en marchant et d'être plus efficace à chaque sprint.

Toutes les nouvelles organisations autour du Chief Digital Officer, du pôle Digital,... tournent autour de cette question de réconcilier Digital et SI. Quand on y pense, ce n'est pas sans ressembler à ce qu'il s'est passé il y a 20 ans avec le BPR. Cette méthode a d'abord été l'apanage de la nouvelle "Direction de l'Organisation" qui s'est emparé des processus, et non de celle des SI. Mais l'expérience a rapidement montré que ceux qui en ont tiré parti ont vite évolué vers une DOSI, Direction de l'Organisation et des SI.

Est-ce que le Design thinking ne pourrait pas définitivement rapprocher digital et systèmes d'information ?

Enfin si le Design Thinking est le nouveau Business Process Reeingineering, cela veut peut-être dire que la stratégie SI ne pourra pas tenir uniquement dans un ERP qui n'automatiserait que les processus, sans revenir à l'humain et à la collaboration. Vous avez peut-être reconnu un autre billet de GreenSI : l'ERP digital, quand le CRM et la Supply Chain ne feront plus qu'un.

Alors si le Design thinking n'était pas sur votre radar de la DSI, il est certainement temps de le détecter.
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