L'enquête annuelle du cabinet Gartner publiée en 2017 (données 2016) permet justement de faire ressortir quelques différences en comparant l'échantillon français à l'Europe et au reste du Monde. GreenSI a pu y constater des différences nationales pour les systèmes d'information des entreprises françaises. Des différences qui rejoignent d'autres constats déjà rencontrés dans d'autres billets (comme ce billet de 2016 qui fait le point sur la transformation digitale avec une perspective mondiale).
La France en retard dans les investissements digitaux ?
Au niveau mondial, les entreprises qui croissent le plus vite investissent le plus dans leur système d'information.
Toutes les études le montrent. Celle de Gartner le confirme avec une croissance moyenne du peloton de tête de 8,9% par an qui se traduit chez eux par un budget SI (global, pas que la DSI) en augmentation de 4,6% par an. Par comparaison, les entreprises françaises qui sont dans la moyenne en termes de croissance (4%) investissent en pourcentage 40% de moins que les autres entreprises et 70% de moins que le haut du peloton.
L'idée d'un SI centre de coût, dont on cherche à réduire les investissements, semble donc encore fortement ancrée dans les entreprises françaises et freine l'investissement SI pourtant utile pour la croissance.
Mais quelle est l'efficacité de cet investissement plus réduit ? Est-ce qu'il porte au moins sur les technologies de croissance qui peuvent porter le business et connecter l'entreprise à son écosystème ?
C'est ce que GreenSI résume avec l'ERP (systems of records) versus le Digital (systems of innovation) qui étend l'ERP avec une supply chain numérique vers les fournisseurs, un CRM omni-canal vers les prospects et clients, et du collaboratif et de l'analytique vers les employés et partenaires.
Les technologies pour développer ces nouvelles relations numériques et étendre l'entreprise sont l'analytique et ses derniers développements d'algorithmes voire d'intelligence artificielle, l'internet des objets, la sécurité, le machine learning, ...
Il ressort de l'étude que les entreprises françaises investissent uniquement 20% de leur budget informatique dans ces domaines, quand les entreprises qui croissent le plus vite sont à 33% de leur budget et visent 43% en 2018.
Ainsi quand ces entreprises en forte croissance ont un budget SI digital qui représente 17% rapporté à l'augmentation de leur chiffre d'affaires, la moyenne est à 10% dans le Monde et la France 30% en dessous à 7%.
Dur dur, sans moyen, d'être un DSI Digital en France !
La priorité de ces entreprises qui croissent le plus c'est l'analytique et le Cloud, services et infrastructures.
L'ERP est dans leurs derniers postes d'investissement en importance.
Or, on sait le retard que la France a pris pour le développement du Cloud et ses investissements dans l'analytique sont en dessous de la moyenne. Les entreprises françaises vont devoir mettre les bouchées doubles...
En revanche, un des domaines où la France se distingue par des investissements informatiques supérieurs à la moyenne c'est l'Internet des objets. Le terrain y est très favorable avec des réseaux de données matures et une culture ingénieur et industrielle plus forte.
Quand on regarde ceux qui croissent le moins ("les retardataires"), ce sont également ceux qui investissent le plus dans leur cœur ERP et encore moins dans le digital. Dis-moi combien tu investis dans ton ERP et je te dirais qui tu es...
Cette tendance avec les ERP est suivie par GreenSI depuis un certain temps. Elle montre que les entreprises investissent maintenant à la périphérie de l'ERP. Même SAP, l'éditeur n°1 dans les classements, adopte une approche similaire pour son développement produit avec des offres HANA, IoT ou IA, pas totalement intégrées à l'ERP "historique".
Mais attention, car certes il faut maîtriser le périmètre (et les investissements) de l'ERP mais sans l'abandonner !
Au contraire, il faut raccorder l'ERP au digital avec des API et des architectures ouvertes. Ceux qui ne le font pas souffrent. Les autres arrivent à créer une chaîne numérique sans interruption entre l'omni-canal et le back-office, donc arrivent à délivrer en back-office (commande, stocks, livraison,...) la promesse faite à leur client en front-office, et renforcent ainsi l'expérience utilisateur qui accroît les ventes.
Quand on imagine les robots d'Amazon, qui, pour faciliter le travail des caristes à préparer les colis, réorganisent seuls en permanence et en temps réel les entrepôts (ils portent les étagères des produits) en fonction des commandes des clients et de l'activité sur le site de e-commerce, on comprend mieux où sera la barre demain pour toutes les entreprises.
Si les investissements dans l'internet des objets restent à ce niveau et que les architectures pour les connecter suivent, la France pourrait être bien placée pour proposer ces back-office de nouvelle génération dans toutes les industries.
Qui pilote les investissements SI ?
En France la DSI contrôle 77% des budgets informatiques, ou pour le dire différemment la DSI ne contrôle déjà plus 16% du budget partis dans les métiers et 7% des dépenses masquées du "shadow IT".
C'est un peu plus que la moyenne et 10% de plus que les entreprises qui croissent le plus vite. Chez ces dernières entreprises, la part confiée aux métiers y est sans surprise plus forte puisque les investissements sont tournés vers le développement des affaires et moins vers la réduction des coûts. Le besoin de contrôle de la DSI ne doit pas être un frein au investissements tournés vers le business.
D'ailleurs, cette performance des leaders pose aux autres la question d'une DSI uniquement centrée sur la rationalisation et la réduction des coûts. Est-ce que ce modèle est encore viable pour une croissance durable ?
Pour Gartner c'est le modèle "bimodal IT" qu'il faut privilégier, avec une répartition claire entre deux entités, celle qui gère l'activité stable et prédictive (la DSI) et l'autre la collaboration, l'innovation et la vitesse des offres sur le marché.
Au sein des entreprises, les entités qui vont s'emparer du numérique, le combiner à l'analyse des données et au business développement ont certainement le vent en poupe pour adopter la partie innovante et métier du SI. Elles sont complémentaires aux DSI, mais ont des profils d'employés plus entrepreneurs, tournés vers les nouvelles technologies et moins averses aux risques. Elles amènent un support commercial au business en accélérant sa digitalisation.
La gestion des RH devient stratégique pour la DSI
Mais la différence française n'est pas que dans les investissements et la technologie. Elle est aussi perceptible dans l'approche du digital, par exemple dans la relation avec l'écosystème.Les entreprises qui croissent le plus dans le Monde créent des partenariats forts avec les startups et les intègrent à leur SI, quand les entreprises françaises cherchent à investir dedans ou à les créer, mais bizarrement pas à les racheter. Apprendre à travailler avec les startups mais sans vouloir les contrôler pour bénéficier de leur orientation business n'est pas encore un modèle maîtrisé en France.
Au niveau des freins on retrouve le rôle critique des ressources humaines avec un manque de talents et de ressources qualifiées identifié par les entreprises françaises, en plus de la culture et des freins de l'organisation. Pourtant ce dernier n'est plus un sujet dans les entreprises qui croissent le plus vite. Il y a donc des modèles organisationnels qui marchent. En revanche la pénurie des talents reste une constante partout dans le Monde.
En synthèse, on trouve en France une vision des SI encore très tournée sur le centre de coût, la massification des investissements qui réduit l'innovation et l'orientation client du système d'information. Cette faiblesse dans l'investissement fait que les entreprises sont tout juste dans la moyenne mondiale en termes de transformation digitale.
La bonne nouvelle est quand même que l'innovation et la digitalisation restent une priorité très forte des entreprises française et l'internet des objets un domaine d'investissement en croissance. Un sujet à la périphérie de l'ERP qui peut faire prendre conscience de l'importance de développer les relations numériques en lien direct avec le business.
Le salon VivaTechnologies cette semaine va nous rappeler que l'innovation numérique est une priorité, mais au-delà des paillettes de ce salon très propice au marketing et au story telling où les grands groupes se voient en fédérations de startups, les entreprises françaises cherchent visiblement encore la clef qui va augmenter la contribution de leur SI à leur croissance, et celle qui va ouvrir la porte à un écosystème numérique raccordé à son système d'information.