Équilibre subtil entre contrôle et laisser-faire
Et oui, il faut bien une porte (ou une cabine téléphonique pour les adeptes de Matrix) pour rentrer sur le réseau !
En Chine, cela se traduit par une grande muraille technique des temps modernes et son cadre législatif ("le grand firewall") et dans d'autres pays par la réglementation des opérateurs et par des lois donnant plus de droits aux agences gouvernementales et militaires.
Les projets futuristes de Google ou Facebook, voire d'Eutelsat, de créer des opérateurs de réseaux internet "aériens" ou par satellites non localisés, risquent de changer la donne. Le contrôle du terminal et des services sera alors la seule possibilité pour les États qui n'ont pas d'accords privilégiés avec ces futurs opérateurs. Aujourd'hui ils peuvent contrôler le réseau qui circule sur leur territoire.
Les moyens de surveillance de ce cyberespace, voire les moyens militaires de certains pays, ont donc beaucoup à perdre de la fin de l'Internet commercial, qui, jusqu'à aujourd'hui, finance cet espace et les innovations technologiques qui le rendent plus performant tous les jours.
Réguler oui, mais sans tuer la poule aux œufs d'or. La création de richesse de la Chine sur ces 10 dernières années en exploitant le cyberespace le rappelle. L'internet est même soluble dans le communisme.
Mais ceux qui ont raté le train qui amenait à cette richesse, ont moins à perdre et peuvent tenter de déséquilibrer le système en espérant jouer un rôle plus grand demain...
L'Europe attaque le moteur des données personnelles
C'est dans ce contexte qu'en Europe sous l'angle de l'usage des données personnelles exploitées dans le cyberespace, que se met en œuvre le règlement européen sur la protection des données personnelles - RGPD. Sur le plan géostratégique il permet à l'Europe de tenter de reprendre la main sur le développement d'un Internet qui lui a échappé.Mais rassurez-vous, ce n'est pas une déclaration de guerre mondiale, car le RGPD ne s'applique pas aux activités qui ne relèvent pas du champ d'application du droit de l'Union notamment relatives à la sécurité nationale (article 16) et à la politique étrangère de sécurité. Les États européens, mais également partout dans le monde, peuvent donc garder leurs moyens de contrôle de l'Internet qui gère l'équilibre subtil cité précédemment.
Ce moteur économique de la valorisation de données personnelles, capturées en permanence sans consentement explicite (et non plus comme dans le monde physique par exemple en remplissant un formulaire pour avoir une carte de fidélité) va donc peut-être moins générer de revenus à l'avenir pour financer le cyberespace.
Les réseaux sociaux sont en première ligne pour essuyer le feu européen, notamment leur modèle à tous : Facebook. Mais depuis une semaine ils sont prêts (billet GreenSI) et ont commencé à répondre juridiquement en adaptant leur politique de confidentialité et en listant les données qu'ils collectent et ce qu'ils en font. Très instructif d'ailleurs de relire ces politiques de confidentialité.
Mais dans le même temps leurs utilisateurs les valident eux sans même les lire...
Ne nous laissons pas abuser par le scandale Cambridge Analytica qui a vu ces données personnelles utilisées à des fins électorales. Ce qui a déclenché l'audition au Congrès américain et révolté les nations, c'est bien d'avoir modifié l'équilibre subtil de contrôle des États en laissant penser que le processus démocratique a pu être manipulé, sans contrôle de l'État. Rien de nouveau, le même débat est présent en France hors de l'internet, par exemple à chaque élection avec les temps de parole des candidats sur les télévisions.
Si Cambridge Analytica avait exploité les données personnelles détournées pour faire vendre plus de Nutella, on s'en serait ému un jour en se demandant si cela était bon pour la santé et pour la planète, et puis le moteur de financement du cyberespace aurait repris son fonctionnement à plein régime. Donc certainement plus que le RGPD, c'est bien le scandale du Cambridge Analytica qui marque un tournant dans l'ère de l'internet et de son modèle économique.
Si la donnée personnelle ne fait plus recette, comment va t-on continuer de financer les infrastructures de l'internet?
Le luxe peut-il financer l'internet?
Le changement de politique d'Apple pour son navigateur Safari (qui devient très sélectif pour accepter les cookies de tiers) impacte fortement Criteo, l'une des deux licornes françaises, dont le cours de l'action a été divisé par deux depuis fin octobre 2017, date de l'annonce du changement de politique d'Apple.Critéo a besoin de ces "cookies données personnelles" pour offrir son service de personnalisation des publicités quand vous naviguez et notamment d'avoir des publicités liées aux produits regardés qui vous suivent d'un site à l'autre.
Les actionnaires s'en sont ému et on demandé cette semaine à Jean-Baptiste Rudelle, le fondateur qui avait vendu ses parts et fondé une autre société, de revenir aux commandes de ce paquebot de la donnée personnelle.
Et ce n'est pas un hasard si c'est Apple (et pas un autre GAFA) qui a repris la main si fortement sur son terminal d'accès. Le modèle économique d'Apple est celui du luxe, pas celui des données personnelles. Les marges sur la vente de ses terminaux, aidées par l'optimisation fiscale, font d'Apple une machine à cash qui n'a pas besoin d'exploiter les données personnelles dans son modèle économique. Et avec Apple on ne parle pas de vente de matériel mais bien de la vente de services sur internet (Apps, musique, films...) car un iPhone non connecté ne servirait qu'à téléphoner, ce qui à $1000 fait un peu cher. C'est bien Internet qui donne la valeur aux produits Apple.
Pour revenir à Criteo, l'autre plateforme mobile, Android, n'a pas choisi la même voie qu'Apple. Il y a donc fort à parier que Criteo va renforcer sa présence dans cette direction, et pourquoi pas se vendre à une société qui pourra lui donner une "immunité" dans le traitement des données au sein de son propre cyberespace et collecter en masse les "opt-in" donc elle a besoin, par exemple Google ou Amazon.
Est-ce que le modèle d'Apple, un "internet de luxe" au sein d'un cyberespace de plus en plus curieux, est viable à long terme ?
Les derniers produits lancés par Apple semblent montrer que ce n'est pas gagné d'avance, même pour une marque jusque là intouchable qui sait y faire avec clients pour les faire revenir à la caisse.
D'abord l'iPhone X va certainement être stoppé. Les ventes de l'iPhone 8 (le modèle précédent) se poursuivent, voire décollent, un camouflet pour la firme de Cupertino qui ressemble de plus en plus à celui d'un Windows 8, les déboires techniques en moins.
Et puis il y a le HomePod censé rattraper le retard d'Apple dans l'univers de la maison intelligente où Google et Amazon vendent plusieurs millions d'enceintes connectées chaque année. Personne d'Apple n'a encore avoué le flop que l'on devine, mais le prix d'entrée à $349, deux fois plus cher que les concurrents, n'a pas encore fait basculer en masse les utilisateurs. Les analystes de Wall Street n'y croient plus et la Deutsche Bank a publié cette semaine une étude pour annoncer cette échec. La méthode des marges dignes du secteur du luxe ne financeront donc visiblement pas la maison connectée et les services qui lui sont délivrés depuis Internet, même chez les aficionados d'Apple.
Amazon et Google cherchent un modèle économique qui financera leur présence dans la maison intelligente par une commission sur les services rendus par ces nouveaux assistants dont les progrès pour la reconnaissance vocale, et demain visuelle, sont fulgurants.
Le commerce peut-il financer les services ?
A priori la réussite insolente d'Amazon le confirme pour les produits physiques, même si la société a mis plus de 10 ans pour avoir un modèle rentable. La grande distribution a sérieusement engagé sa mutation comme l'a traité GreenSI dans un billet récent (Oui, le digital tue ceux qui ne s'adaptent pas).Et puis les géants chinois comme Alibaba et Tencent, ont développé un internet commercial plus développé que celui des GAFAs américains en volume de transactions financières entre internautes. En Chine, on paye déjà en masse avec son mobile et sur la messagerie WeChat.
Pour les produits numériques c'est plus simple, et le modèle par abonnement est certainement appelé à se développer à l'image d'un Netflix. Un modèle auquel Netflix a toujours maîtrisé car rappelons-le, Netflix est un ancien distributeurs de cassettes vidéo qui a su exploiter le Cloud pour développer un nouveau mode de distribution et l'internet pour y raccorder ses clients.
C'est certainement ce qui explique également le "retour de Microsoft", avec une offre de Cloud mise en priorité par Satya Nadella qui s'appuie sur ce modèle de l'abonnement, pour l'instant très orientée vers les entreprises. Wall street pense même cette semaine que Microsoft pourrait être la première société à dépasser les $1000 milliards de capitalisation (avant Amazon qui s'en est rapproché avant que le coup fourré de D.Trump sur Twitter ne l'en éloigne, et Facebook qui a glissé sur Cambridge Analytica).
GreenSI pense donc que l'internet va certainement prendre la voie de l'abonnement et que le budget mensuel des particuliers pour payer des services va augmenter.
Mais l'internet va également prendre à court terme la voie de la consolidation. Les sociétés trop petites n'auront ni les moyens de survivre au ralentissement du moteur des données personnelles et aux investissement pour être en conformité, ni une base de clients suffisante pour se financer uniquement par abonnement. C'est peut-être le moment pour les entreprises qui n'avancent pas assez vite dans leur transformation digitale de faire quelques emplettes...
Enfin, le seul modèle viable et pérenne pour encore de nombreuses années reste celui de la surveillance généralisée par les États, mais celui-là contrairement aux données personnelles, c'est pour notre bien à tous. ;-)