#FlipYourMind est une série de billets de GreenSI sur le thème de la transformation digitale. Ne cherchons pas à agir à l'ère du digital tout en pensant encore comme à l'ère précédente. Si vous lisez ceci c'est certainement que vous avez choisi de prendre la pilule rouge ;-) |
Il y a presque 10 ans, le 12 novembre 2007, Forbes la revue incontournable dans les affaires aux États-Unis faisait sa couverture sur Nokia, cette société finlandaise qui venait d'atteindre 1 milliard de clients, et de s'interroger sur qui pourrait bien la détrôner.
La suite de l'histoire on la connaît. La société a depuis été "démantelée", le hardware des smartphone a été repris par Microsoft (gamme Lumnia) pour essayer de développer les ventes de son Windows Phone, ce qui pour l'instant n'a pas encore réussi. Dans le B2C la marque Nokia s'est tournée vers la santé et les objets connectés haut de gamme et a racheté la société française leader, Withings. L'activité historique de la société Nokia s'est alors concentrée sur les opérateurs avec notamment en France le rachat des activités d'Alcatel-Lucent.
La barre symbolique du milliard de clients a depuis été dépassée par Facebook, Yahoo ou Google démontrant que les sociétés du numérique pouvaient, en dix fois moins de temps acquérir dix fois plus de clients que des sociétés traditionnelles, comme le détaille très bien dans la Banque, l'analyse du blog "Disruptive Finance" (Pourquoi la finance est devenue hyper-scalable ?). La célérité peut donc être cent fois supérieure à ce que l'on sait.
Ainsi, en moins de 10 ans, ce qui semblait une barre infranchissable a été franchie.
L'autre société très en vogue en 2007 dans la téléphonie était Blackberry, elle même un disrupteur avec une machine très adaptée pour les messages courts devenue la coqueluche chez les traders de Wall Street. Cet ancien roi Canadien de la téléphonie professionnelle avec qui les Présidents des États-Unis s'affichaient en public, a aussi subit 10 ans de descente aux enfers, perdu ses parts de marchés, même après avoir abandonné son OS propriétaire et rejoint le standard Android.
Le parcours de Blackberry nous donne des repères sur les durées des périodes où la société perdait de la valeur (mesurée par son cours de Bourse) et montre que les 10 ans de chamboulement de la téléphonie se sont écrits finalement en moins de 3 ans.
L'émergence d'un nouveau modèle porté par Blackberry à durée 2 ans, elle s'est ensuite battue 3 ans entre 2009 et 2011 contre des acteurs qui remettaient en cause son modèle, notamment, l'iPhone et des téléphones sous Android dont Samsung ("simple géant" de l'électronique). A l'issue de cette période de 10 ans la valeur de Blackberry était de 10% de son maximum atteint pendant sa phase de dominance du marché entreprise.
Après 6 années de restructuration, la société Blackberry vient pourtant d'annoncer cette semaine des bénéfices.
Les terminaux resteront marginaux, même dans le domaine de la sécurité, en revanche la plateforme Blackberry a de la valeur et c'est bien son activité logicielle qui annoncé de bons résultats. Depuis l'abandon ou la sous-traitance du hardware, sa stratégie s'articule autour de la plate-forme BlackBerry Secure, qui aide les entreprises à maîtriser leur flotte de mobiles et qui veut conquérir le prochain mobile: la voiture connectée.
En toile de fond du parcours de Nokia et de Blackberry, en B2C et B2B, on a la rupture liée au développement d'un nouveau standard pour le smartphone. Ces deux sociétés avaient elles même porté la rupture précédente des téléphones portables, mais ce modèle a radicalement changé en 10 ans.
Au delà de l'évolution du "form factor" (ci-contre) plus facilement prédictible, ce que Nokia et Blackberry ont vu certainement un peu tard, c'est la valeur du logiciel et la transformation du hardware en une commodité qui pouvait être produite par des géants de l'électronique ne connaissant pas la téléphonie.
En 10 ans le smartphone est devenu un "galet tactile" sur lequel le logiciel peut s'exécuter.
Le smartphone, relié à une plateforme logicielle amenant les applications, est devenu numérique. Il a été virtualisé, comme le PC ou le serveur avant lui.
Cette virtualisation est une tendance de fond dans le hardware avec la convergence IP et dépasse le secteur de la téléphonie. Les PC, serveurs, réseaux et bientôt le datacenter sont autant de hardware que l'on sait virtualiser avec du logiciel. L'internet des objets va même certainement l'amplifier avec le concept de double numérique (voir ce billet) et d'autres objets plus industriels le seront également.
Le hardware c'est devenu design, exploité par un OS (iOS ou Androïd), sur lequel on amène les services et les applications. La valeur est du pur logiciel, pour ceux qui ne savent pas faire comme Apple et attacher une valeur de marque et d'expérience client à leur design.
Quand une rupture émerge il ne va donc lui falloir que quelques années pour disparaître ou s'affirmer comme une véritable rupture dans les usages.
A partir de là elle entame sa période de croissance pour capturer le plus de clients possibles, dans plusieurs pays et continents à la fois, sans nécessairement être rentable.
Pendant la phase d'émergence de la rupture, l'entreprise historique risque de rater, voire de la nier. C'est ce qu'à fait Blackberry, née dans les "pagers", en continuant de sortir des téléphones à claviers, organe considéré essentiel pour les SMS.
Quand la rupture s'est installée elle dépasse rapidement l'entreprise historique qui continue de s'améliorer mais n'introduit aucune rupture dans ses pratiques ou son organisation. C'est donc la seconde peine pour l'entreprise qui se laisse dépasser par une rupture, son organisation ne sait que délivrer la pente historique à laquelle elle s'est habituée... jusqu'à que son marché s'effondre. L'expérience montre que les entreprises réagissent trop tard car n'anticipent pas leur temps d'adaptation.
L'entreprise traditionnelle a donc tout intérêt à tester l'émergence des ruptures, même celles auxquelles elle ne croit pas, le plus en amont possible. Cela lui permettra de gagner du temps pour la prise en compte de la rupture si elle se confirme.
C'est ce type de finalité que l'on retrouve dans les "Labs" des entreprises (voir ce billet). Leurs projets ne sortiront pas les produits industriels qui assureront l'avenir financier de l'entreprise, mais pour un investissement limité, les Labs permettront de gagner un temps précieux dans la bataille qui va suivre et pour accoutumer l'organisation a autre chose que ce qu'elle connaît.
Dans une conférence récente le Cigref, réunissant les DSI des grandes entreprises françaises, admettait que l'innovation ouverte et la collaboration (interne comme externe) étaient devenues une question de survie.
Cette hypothèse a pour corollaire qu'une entreprise qui n'a aucun dispositif pour explorer, voire anticiper les ruptures de son industrie ou de son modèle économique, a intérêt à avoir une organisation et des processus lui permettant de réagir très vite.
Récemment j'ai du me demander si je souscrivais au capital d'un groupe bien établi, avec une possibilité de sortie au bout de 5 ans, pas avant. En reprenant le cas de Blackberry ont voit que 2 ou 3 ans en Bourse sont déjà des durées longues qui peuvent être remises en cause par une rupture sur le marché de l'entreprise. Investir sur une durée de 5 ans demande donc de se poser la question des ruptures sur l'horizon de l'entreprise et de sa capacité à les aborder, soit par anticipation, soit par une organisation agile. Si elle n'a aucune des deux, il y a certainement aujourd'hui, plus que par le passé, un risque plus fort dans un investissement sur 5 ans.
Pour GreenSI, si vous pensez à l'ère du digital, acceptez que les ruptures vont plus vite que les organisations et n'attendez pas la rupture pour anticiper la rupture ou repenser l'organisation.
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