En 2017, l'ERP essaye même de se faufiler au travers des arcanes de l'intelligence artificielle et des robots connectés que nous promet l'industrie 4.0 : c'est le thème de ce billet.
Le fondateur de ce segment de l'industrie logicielle, l'européen SAP, n'a d'ailleurs jamais perdu sa place de leader depuis 45 ans. Une place pourtant très challengée par une myriade d'éditeurs américains dont la nouvelle génération apparue il y 7-10 ans surfe sur la vague des ERP dans le cloud.
C'est le cas par exemple de Netsuite un ERP 100% SaaS qui s'est fait croquer par Oracle en novembre dernier (pour $8,9 milliards) et qui permet ainsi à Oracle, à défaut d'accélerer sa mutation vers le Cloud, d'afficher de la croissance (externe) dans le Cloud tant attendue par les analystes et ses actionnaires.
En 2016, SAP réalise 3 milliards de revenus dans le Cloud, un chiffre en croissance de 30%. Il annonce même 2018 comme année charnière où les ventes de licenses (qui baissent) passeront en dessous des ventes SaaS (qui augmentent). Le Cloud est donc bien la dernière architecture à laquelle les ERP commencent à s'adapter pour ne pas disparaître.
La stratégie de SAP s'est concentrée sur S/4 HANA, sa nouvelle version après R/3, une stratégie qui met en avant les capacités d'une nouvelle base de données (HANA) à l'heure du bigdata et de l'ouverture des données - plus que la poursuite d'un ERP 100% cloud. Quand on sait que la majorité des implémentations de SAP le sont sur une base Oracle, maison mère de son 1er concurrent, on comprend pourquoi SAP s'attaque en priorité à la base de données.
De toutes les façons, le passage au Cloud va redistribuer les cartes de cet avantage pour Oracle, car non seulement en SaaS le choix de la base de données n'est plus critique, mais en plus Oracle est très peu utilisé pour les développements dans le Cloud à cause de sa politique tarifaire de license.
La stratégie HANA de SAP est aussi la réponse à des bases de données devenues trop volumineuses (sans réelles stratégies d'archivage des données moins utilisées avec le temps), aux promesses du big data qui a besoin de capturer encore plus de données et surtout de les traiter en temps réel ("in memory"). Les systèmes décisionnels à l'ère des objets connectés ne peuvent pas reposer sur les entrepôts de données traditionnels mis à jour en batch, avec des données disponibles au mieux le lendemain.
Pour GreenSI, Mark Hurd (CEO d'Oracle) sait qu'Oracle Applications a pour l'instant raté le virage technologique des ventes Cloud et que le rachat de Netsuite lui permet de reprendre la main. Ceci à condition qu'il laisse Netsuite continuer d'innover, ce qu'il a promis à ses clients en avril dernier à Las Vegas lors du SuiteWorld 2017, la conférence mondiale des utilisateurs de Netsuite.
Oracle, dirigée par l'ex-CEO d'HP, peut aussi amener à Netsuite son expertise sur les infrastructures et ses compétences en machines performantes depuis le rachat de Sun Microsystems. En revanche, pour les utilisateurs historiques de la suite Oracle Applications, beaucoup de questions et de nuages masquent la visibilité à moyen terme de leurs investissements, mais ils sont habitués...
Tous les DSI le savent bien, avec les ERP la question est moins l'innovation, qui est devant, que la gestion de la dette technique, qui est derrière.
De façon symétrique, les positions des éditeurs sont difficiles à prendre quand ils ont beaucoup de clients qui payent chaque année entre 18 et 22% de leur investissement initial en coûts maintenance. Ce focus sur les choix passés explique certainement une grande partie de la relative stabilité du marché des ERP qui change surtout par acquisitions.
Mais le corolaire de cette situation est qu'il faut donc piloter ses investissements ERP de façon beaucoup plus stratégique et à beaucoup plus long terme, que par exemple les choix d'une application mobile qui sera obsolète en 3 ans et re-écrite en 3 mois.
Attention au réveil brutal dans les DSI aux yeux rivés sur le budget de l'année.
Pour GreenSI, maintenant que le Cloud s'est imposé comme le modèle de réduction des coûts, des risques et des délais de mise en oeuvre des ERP, c'est donc dans la direction de l'internet des objets et des prochaines architectures, pourquoi pas aussi la blockchain, qu'il faut regarder. À la clef, l'adaptation des ERP à l'ère des robots quand l'industrie et le commerce seront encore plus automatisés qu'aujourd'hui, et de l'intelligence artificielle qui va bouleverser les interfaces hommes-machines et la répartition des tâches entre les hommes et les machines devenues plus intelligentes.
L'Allemagne, berceau de SAP, de l'Industrie 4.0 et d'une chancellière visionnaire pour le maintien de la compétitivité de son industrie, est certainement un endroit privilégié dans le monde pour orienter les radars de sa veille (Chine et Corée du Sud sont aussi à surveiller mais n'ont pas d'éditeurs d'ERP reconnus mondialement).
Et c'est certainement sous cet angle là qu'il faut décoder l'implantation du centre européen Watson IOT d'IBM en Allemagne à Munich, pour co-innover avec clients industriels.
Justement, fin 2016, SAP annonçait un plan d'investissement de 2,2 milliards de dollars pour connecter son ERP aux solutions reconnues dans l'Internet des objets (IoT).
SAP IoT est donc la direction fixée par SAP pour combiner en temps réel, avec des capacités d'apprentissage (machine learning), les données de sa base de données HANA et les nombreuses données du monde externe issues des machines. A la clef un pilotage intelligent des processus de production.
C'est une direction qui ouvre des partenariats avec les éditeurs de solution de PLM - Product Lifecycle Management - très présente dans l'industrie pour gérer des machines complexes, les modéliser en 3D et les enrichir avec des données de mesures. Dans ces partenaires on retrouve l'américain PTC (et sa solution Thingworx) et les allemands Siemens et Bosch.
Dommage pour l'Europe que le français 3DS (Dassault Systems) fasse pour l'instant cavalier seul avec sa plateforme 3DExperience car une stratégie commune entre les deux premiers éditeurs mondiaux non américains (SAP et 3DS) renforcerait certainement le poids de l'Europe dans le logiciel mondial dominé très largement par les américains.
Ainsi, Siemens annonce Mindsphere, un écosystème ouvert basé sur SAP HANA que les clients et les développeurs peuvent utiliser pour développer, étendre et exploiter des applications dans le cloud. Les applications imaginées sont la surveillance en ligne de machines-outils distribuées à l'échelle mondiale, des robots industriels ou des équipements industriels tels que des compresseurs et des pompes.
Bosch a aussi signé un accord stratégique avec SAP HANA, montrant, si on en doutait, la puissance de frappe de l'économie allemande quand elle avance en "pack".
Attention cependant au fait que cette stratégie très pertinente dans l'industrie l'est beaucoup moins dans les services où l'ERP n'a toujours pas tenu sa promesse de mieux s'intégrer dans les processus collaboratifs qui se développent dans l'entreprise 2.0.
Dans la bataille de l'infrastructure cloud fiable qui sera le fondement de l'industrie 4.0, finalement l'ERP est en train (une fois de plus) de tirer son épingle du jeu en s'ouvrant au monde des objets connectés et de l'intelligence artificielle. Quarante cinq ans plus tard, SAP mène toujours le jeu mais le terrain de jeu s'est considérablement étendu.