Contrairement à une idée reçue, les agriculteurs sont souvent en tête de l'usage de nouvelles technologies. La crise de ce secteur est une crise de business modèle (quel intermédiaire tire la valeur, comment assurer sa production à l'heure du dérèglement climatique...) et non une crise technologique et encore moins de productivité.
Le billet de GreenSI d'avril 2014, rédigé à la Startup Academy nous le rappelle dans le contexte des éleveurs. La société BioPic y avait gagné la compétition avec ses vaches connectées. Objet connecté pour mesurer des paramètres physiologiques, pile intégrée transformant le glucose en énergie électrique, géolocalisation des individus du troupeau, données remontées dans un "Farm Cloud Service", tous les ingrédients technologiques étaient là pour inventer des usages particulièrement innovants.
Même le modèle économique basé sur la location des capteurs avec un abonnement mensuel par tête de bétail était en avance sur son temps.
Car l'adaptation du monde agricole aux nouvelles technologies ne date pas d'hier.
Depuis les premiers Hommes sédentarisés par cette activité, la mécanisation a toujours permis d'augmenter les rendements et la productivité de la ferme. Ces cent dernières années ont vu la révolution des machines agricoles sophistiquées et spécialisées remplacer la traction animale et développer l'agriculture intensive. En parallèle, la gestion économique, technique et écologique des exploitations s'est informatisée. Cette révolution s'est aussi accompagné d'un usage de plus en plus intensif des données, accessibles directement aux agriculteurs (les premiers utilisateurs des Minitel dans les années 80) pour la météo, le suivi des parcelles ou les cours des marchés agricoles.
Le fait que ces machines soient pilotées par des humains et qu'elles ne soient pas totalement autonomes explique certainement pourquoi on parle rarement de robots pour les désigner.
Pourtant la tendance est prise car les technologies qui permettent de les rendre autonomes existent et elles auront alors tous les attributs des robots dans un monde agricole.
Ces technologies "smart" sont par exemple:
- les données collectées par les drones pour individualiser les opérations sur chaque parcelle et mieux les connaître,
- la géolocalisation des mesures et des machines,
- les nouveaux capteurs qui peuvent être embarqués dans les machines,
- la connexion de la machine au logiciel qui peut les piloter pour coordonner les engins entre eux. Par exemple une moissonneuse-batteuse sera suivie par une remorque autonome pour récupérer les grains et ira se vider toute seule pendant qu'une autre remorque prendra sa place.
De plus, en 2008 certains fabricants de machines se sont rassemblés dans un organisme de normalisation (AEF - Agriculture Electronic Foundation) pour permettre au matériel de l'un de communiquer avec le matériel de l'autre (Isobus - protocole de communication universel entre tracteurs) et de ne pas obliger l'agriculteur d'avoir un parc homogène comme une certaine marque à la pomme.
Et pour demain, un groupe de travail de l'AEF refléchit d'ailleurs à l'extension de cette norme au niveau de la ferme et donc aller vers un "système de systèmes intelligents".
À l'avenir ce sont donc bien des robots que nous auront dans les champs.
L'évolution de la mécanisation de l'agriculture est donc intéressante pour aborder deux questions actuelles sur les robots :
- Les robots vont-ils prendre la place de l'Homme ?
- Faut-il les taxer ?
En revanche, on oublie parfois que cette mécanisation a créé des emplois ailleurs. La chaîne de valeur de l'agriculture ne s'arrête bien sûr pas à la ferme ou à son code APE. Elle irrigue toute l'industrie de la transformation des produits agricoles, la logistique, la grande distribution, les restaurants sous toutes leurs formes...
Taxer les robots voudrait dire dans le monde agricole taxer les tracteurs autonomes, les données et les logiciels.
Heureusement que personne n'y a pensé avant car cela ne ferait que rendre encore plus précaire l'équilibre des investissements en mécanisation des agriculteurs (qui portent déjà ce risque) et retarder d'autant la création d'emplois dans la fin de la chaîne (l'économie du pays).
Un État économiste et un tantinet visionnaire dirait au contraire qu'il faut aider l'automatisation comme on aide l'innovation dans les entreprises par exemple avec le Crédit Impôt Recherche.
Taxer les robots, c'est pourtant une proposition qui revient régulièrement dans le débat et qui a été supportée le week-end dernier par Bill Gates dans une interview au magazine Quartz. Les supporters de Benoit Hamon ont alors certainement pensé que l'heure était arrivée pour leur champion, mais c'était sans compter les réactions de tous les économistes de la planète cette semaine (par exemple James Bessen dans Fortune) qui ont rappelé au co-créateur de Microsoft qu'il s'était certainement un peu "égaré".
Comme on l'a vu dans le dernier billet sur l'Intelligence Artificielle, c'est une question que le Parlement européen demande à la Commission européenne d'explorer en demandant de fixer le régime légal des robots, mais la "taxe robot" n'est pas privilégiée par le Parlement. Espérons que dans le groupe de travail qui va s'emparer du sujet, il y aura des économistes et surtout des fils d'agriculteurs pour rappeler le bon sens paysan.