Pour le plus geeek des Présidents de tous les temps, l'adoption des technologies de l'information pour améliorer la qualité des services, ce qui a été un de ses centres d'intérêt depuis son entrée en fonction, a encore énormément de progrès à faire pour "faire rentrer son Administration au XXème siècle" (voir la vidéo de son interview par Wired).
Son analyse ne conclut pas à un manque de talents dans les rangs des agences de l'Etat, surtout si on y met la NASA. Mais force est de constater que la technologie y est pourtant moins utilisée pour rendre l'expérience utilisateur aussi conviviale que de commander une pizza ou analyser des situations complexe (climat, énergie,...) et prendre des décisions de long terme.
Il reconnait qu'Hollywood dans les films et les séries TV dresse souvent un portrait beaucoup trop enjoliveur de la réalité et des moyens technologiques de l'Administration américaine.
C'est vrai que cette Administration a été confrontée aux difficultés de lancement de son programme social, "Obamacare", à cause d'un système d'information mal conçu puis mal maîtrisé, dans un pays qui regorge pourtant de startups aux plateformes délivrant un service numérique mondial de qualité (voir le billet de Pierre Col de novembre 2013).
Les administrations ont été informatisées très tôt, dès les années 50s. Le premier ordinateur commercial de l'histoire l'UNIVAC (UNIversal Automatic Computer) a été vendu au bureau de recensement Americain pour ses capacités de traitement de milliers d'additions et multiplications par seconde, et permit de remplacer l'équivalent d'agents (féminins d'ailleurs à l'époque) qu'il fallait pour arriver aux mêmes résultats.
Depuis cette époque d'informatisation croissante, le lien entre la performance d'une organisation et l'utilisation des technologies est clairement identifié : c'est la transformation des processus et avec le digital, leur numérisation complète.
L’expérience client se retrouve donc au centre de cette transformation et le logiciel devient l'outil universel, qu'il soit embarqué dans un équipement mobile, dans les réseaux de communication ou sur un serveur de datacenter.
Ce logiciel donne à l'organisation une capacité d'adaptation et de réactivité immédiate.
Justement, l'adaptation était le thème cette semaine de la conférence CA World : "Built to change". Une conférence très appréciée par GreenSI car elle aborde le changement de méthodes et d'outils pour les DSI, pour s'adapter au Digital, sans d'ailleurs supprimer les mainframes. Nous passons d'un paradigme où il fallait construire pour durer, à un monde en rapide évolution ou il faut s'organiser pour changer. Et le, système d'information et la DSI se retrouvent au milieu de ce nouveau paradigme alors que tout y est organisé pour durer...
Sur le plan de la plateforme technologique, Otto Berkes CTO de CA Technologies y a développé ses idées, que GreenSI ne renierait pas, quand il dit que « pour progresser, les organisations doivent créer une véritable usine à logiciels moderne, s’appuyant sur un processus de développement agile et efficace, et répondant constamment aux besoins des clients. »
La maîtrise de la fabrication du logiciel, est - ou devient - un avantage concurrentiel des organisations dans une économie numérique.
Un autre billet récent et très éclairant de Philippe Silberzahn, professeur d'Entreprenariat, Stratégie et Innovation à l'EMLyon, pointe aussi du doigt cette transformation profonde nécessaire, et non nécessairement l'embauche massive d'informaticiens comme on peut le lire parfois dans la presse. Il cite l'exemple de Nokia, leader en 2007 qui avait pourtant un grand nombre d'ingénieurs logiciels, mais qui avait la culture du matériel et non du logiciel, et qui n'a pas vu venir la valeur d'une plateforme logicielle quand l'iPhone l'a détrôné brutalement en quelque années. Ce qui est construit pour durer peut s'effondrer rapidement quand les paradigmes changent.
En conclusion, c'est dans la transformation numérique de l'Administration et de ses méthodes qu'il faut certainement aller chercher cette capacité à rattraper son retard, et pas nécessairement dans des budgets plus importants ou dans la multiplication de ses informaticiens.
Quid de la fonction publique française ?
À la veille du second tour de la primaire de la droite et du centre qui devrait nommer l'un des candidats visant les plus hautes fonctions de l'État et donc l'orientation des choix de la France, GreenSI aurait aimé que l'enjeu du numérique pour TRANSFORMER le service public soit perçu et débattu.Les questions que l'on peut donc se poser sont multiples:
- Y a t-il une exception pour le secteur public français plongé à l'ère du digital?
- Pourquoi les nouvelles méthodes mettant en avant l'agilité, l'innovation, l'UX,... qui se répandent, ou les nouvelles approches technologiques comme le Cloud, le SaaS,.. et qui font l'objet de nombreux billets, ne s'y appliqueraient pas?
- La conception même d'une Administration conçue pour s'adapter en permanence à l'environnement politique et géopolique est-elle une utopie?
- Le modèle de l'usine pour adapter le logiciel de l'Administation en permanence serait-il uniquement un attribut des entreprises privées qui veulent conquérir des marchés et satisfaire des clients ?
D'ailleurs, il y a un domaine où la France excelle mondialement et a certainement un temps d'avance sur la transformation digitale: les taxes et les impôts !
Déjà, il y a le dispositif internet du Ministère des Finances qui depuis bien longtemps digitalise la déclaration et le paiement des impôts - au point de devenir en 2018, par la Loi, le système pour la majorité des contribuables. On peut aussi citer la verbalisation automatisée des infractions de vitesse, de la mesure sur les radars connectés fixes ou mobiles à l'envoi automatisé et au paiement en ligne des contraventions.
Ces chaînes, en grande partie numériques, donc transformées, sont certainement des bonnes pratiques de transformation numérique de processus complexes, transverse aux services. Ils pourraient même impressionner le Président geek et son Administration ;-)
Pourtant cette semaine le politique a donné un coup d'arrêt a cette excellence avec le vote des députés du démantèlement des portiques éco-taxes.
Le politique a échoué là où l'Administration avait mis en place un dispositif numérique unique de portiques bardés de capteurs et de caméras, avec une plateforme de reconnaissance des immatriculations, dont le potentiel dépassait largement le paiement d'une taxe kilométrique pour le transport mais était bien un pas dans la transition énergétique dopée au numérique.
On peut aussi positiver les échecs des grands projets récents en se souvenant de l'acronyme FAIL: First Attempt In Learning.
Par exemple l'Opérateur National de Paye (1 Md€ entre 2007 et 2014), Louvois (système de paye du ministère de la Défense de 2001 à l'arrêt en 2014 qui continue de coûter des centaines de millions d'euros par an), le Régime Social des Indépendants, les 500 M€ de surcoûts pour Chorus(rapport CDC)... qui sont derrière nous.
Dans une démarche d'amélioration continue, on peut espérer que cet argent public aura au moins servi a apprendre ce qu'il ne faut plus faire et surtout comment il ne faut plus le faire (les rapports des commissions d'enquêtes sont publics). Louvois 1, 2, 3, 4, stop, c'est mon préféré. J'en ai même fait un cas à discuter en cours avec mes élèves en master systèmes d'information pour sensibiliser sur ces projets qui sous-estiment la conduite des changements.
Au-délà des projets on peut citer de nouvelles formes d'organisation modernes et transverses du numérique qui émergent dans l'Administration et portent un espoir de transformation si elles s'inscrivent dans la durée et l'amplification:
- le renforcement de la mission Etalab (qui vient de se voir refuser de doubler son budget...) et son portail opendata national (et surtout interministériel donc transversal comme le digital et l'expérience utilisateur l'aiment),
- le SGMAP qui inscrit le numérique dans la transformation,
- l'Agence du numérique qui anime la transformation et oeuvre (trop lentement ?) pour les infrastructures
- sans oublier les collectivités territoriales qui ne sont pas non plus en reste pour intégrer de nouvelles formes d'organisation exploitant le numérique et la dématérialisation.
On sait tous que ce qui freine les talents du service public c'est la lenteur des prises de décisions, la lourdeur des procédures et les horizons de temps trop loin des réalités du moment. Annoncer en 2016 des objectifs de déploiement en 2020 ou 2024 pour des fonctionnalités existant déjà aujourd'hui, quand sur le même horizon des startups annoncent la généralisation de produits qui n'existent pas encore (comme la voiture autonome) c'est le témoin lumineux quotidien de ce décalage entre le public et l'initiative privée.
Une initiative privée qui aujourd'hui rêve même d'envoyer des humains sur Mars, de faire des vols spatiaux commerciaux, de déployer l'internet partout sur Terre, a finalement même parfois une vision de projets d'évolution des sociétés quand ce n'est pas sur l'évolution de la race humaine...
Comme dans le privé, la transformation digitale de la fonction publique pour une meilleure efficacité de ses services doit devenir une réalité, à défaut de creuser l'écart avec les français et de rater de multiples opportunités.
Le numérique ne peut pas rester un simple débat de taxes, de régulation du secteur privé ou de budget d'investissement.
L'ère du digital est une ère de transformation interne autant que d'innovation avec ses clients et son écosystème.
L'évolution vers une Administration qui adoptera une culture numérique devrait être un chantier du futur candidat à la Présidentielle.
À la clef, les gisements d’efficacité et de qualité pour les citoyens qu'il pourrait libérer. Mais surtout la compréhension profonde du numérique et la fin de réformes (comme le compte pénibilité ou la loi ALUR) qui ne prennent pas en compte les potentialités et les contraintes du numérique dès l'origine et dont les systèmes d'informations se révèlent ensuite trop complexes à fabriquer.
La responsabilité du prochain Président devrait être de mettre en place l'organisation de la fonction publique pour ne pas laisser aux prochaines générations non seulement une informatique nationale dépassée mais en plus une autre dette à porter : la dette technique.