lundi 11 janvier 2016

Orange Banque: le réveil des opérateurs ?

Orange a confirmé cette semaine être en discussion exclusive pour prendre 65% du capital de Groupama Banque et ainsi accélérer le lancement d'Orange Banque pour 2017. Une opération qui sera certainement au cœur des nouveaux services de la nouvelle économie numérique. Décodage.

(Disclaimer: GreenSI analyse l'actualité et n'a aucun contact avec des personnes d'Orange ou de GroupamaBanque impliquées sur ce dossier)

La question de l'omnicanal pour Groupama

Avec Groupama Banque, Groupama possède un actif a priori doublement stratégique :
  • qui lui met un pied dans la Banque pour un Assureur mutualiste (modèle Banquassurance)
  • et l'autre dans le numérique, avec un modèle de distribution multicanal mais sans agence (en s'appuyant si besoin sur le réseau d'agences du réseau assurances Gan et Groupama)

Pourquoi s'en séparer ?
Ce double enjeu a été confirmé par la conférence de presse de mai 2014 où la banque se présentait comme au coeur de la stratégie de Groupama et des évolutions de sa relation client (omnicanal, amélioration de la connaissance clients, impact positif sur la fidélité et la satisfaction...). Elle annonçait 540.000 clients qui, visiblement, intéressent Orange pour accélérer ses plans.



Il est donc vraisemblable que la future Orange Banque restera un partenaire (en marque blanche ? via OBS ?) de l'activité assurance, en fournissant les actifs numériques dont le réseau Groupama aura nécessairement toujours besoin pour assurer son développement sur les métiers de l'assurance.
Des actifs numériques du système d'information omnicanal qui deviennent donc des actifs de plus en plus stratégiques et au coeur de toutes les acquisitions.


La quête de l'Océan Bleu pour Orange

En ce qui concerne Orange, GreenSI ne peut qu'applaudir qu'une telle idée (de racheter une banque en ligne) puisse naître chez un opérateur historique. L'actualité nous a habitué à l'inverse : des Uber et autres Amazon qui fragilisent les acteurs historiques et désorganisent leur marché.

Dans la bataille sanglante que se mènent les opérateurs de télécoms en France depuis l'arrivée du "disrupteur prix" Free, et après avoir laissé passer, dans les années 2000, le train du e-commerce et de la publicité en ligne avec des stratégies trop fermées par rapport aux GAFAsil est temps pour les opérateurs de trouver un Océan Bleu et de réellement développer une plateforme de nouveaux services hors télecoms.
Le paiement mobile est la première chose qui vient à l'esprit dans les usages qui se développent et qui pourraient compléter les services traditionnels d'une banque en ligne.

Pourquoi laisser les commissions et la connaissance clients aux nouveaux acteurs comme Square ou Paypal, ou aux acteurs historiques que sont les banques ? Les GAFAs eux mêmes, qui maîtrisent la relation avec des centaines de millions de clients et possèdent leurs numéros de carte bancaire, fourbissent tous leur "wallet" pour prendre part dans cette réorganisation attendue des paiements mobiles et surtout des commissions...

Alors pour un opérateur comme Orange qui a plus de 27 millions de clients, il n'y a pas de raison que les synergies en matière de relation clients omnicanale, notamment de vente croisées de nouveaux services bancaires ou de paiement, ne soient pas fortes.

Mais pour cela, il lui faut une marque qui puisse porter l'expérience utilisateur au-delà des produits et des services actuels, et permettre le "transfert" des clients vers ces nouveaux services, sans avoir à supporter des coûts d'acquisitions importants.

C'est d'ailleurs peut-être à cause de ces coûts d'acquisitions que Groupama Banque veut jeter l'éponge, dans un marché où les clients sont finalement très conservateurs (par choix ou par contrainte des banques) et ne changent pas massivement de banque.

Dans le classement 2015 des 10 premières marques mondiales (Brand Finance Global 500), trustées par les américains, il y a deux opérateurs de télécoms : Vérizon et AT&T. Des marques qui peuvent rivaliser avec les GAFAs.

Orange est la 46eme marque mondiale dans ce classement, la 11eme européenne et la première française, donc "not so bad !"

La combinaison "store" et omnicanal

La question du "clic & mortar" s'est posée dès les début de l'internet.
Amazon est encore là pour montrer la force de la vente en ligne, de la maîtrise totale de la distribution, et des délais. Mais c'est peut-être l'exception qui confirme la règle du modèle purement internet. L'omnicanal qui mélange les canaux internet et physiques, seul ou avec des partenaires, est en train de se développer pour permettre une meilleure expérience client.
Les banques semblent bien placées pour cette stratégie avec des réseaux et du multicanal. Sauf que certainement, vous n'êtes pas allé dans votre agence bancaire depuis plusieurs années ! Elles devront réorganiser et relocaliser leur réseau avant de pouvoir en bénéficier.

En revanche les agences des opérateurs de télécoms sont pleines !

On y va régulièrement aussi bien pour gérer son abonnement que pour voir quelles sont les nouvelles innovations technologiques qui viennent de sortir. La vague des objets connectés qui déferle en ce moment au CES à Las Vegas, comprenant beaucoup d'objets conçus par des startups françaises, n'est certainement pas un signal qui indique que ce flux va se tarir pour ceux qui sauront commercialiser les nouveaux terminaux et abonnements de l'internet des objets.

Un réseau d'agences d'Orange pleines de clients sont des points de ventes, surtout dans elles sont placées dans des galeries marchandes très fréquentées ou des lieux incontournables des villes (les fameux "flagships"), mais jouent aussi le rôle des portails des débuts de l'internet et permettent de capturer de la donnée client et de valoriser ce trafic .

Ces lieux de passage sont aussi des lieux d'expérience utilisateurs.



Apple a montré avec ses "Génies" comment développer une expérience unique en magasin et prolonger l'expérience de l'achat par celle du service ou du développement des usages.

Même les ténors de la distribution indirecte comme Microsoft dont 95% des revenus passaient par son réseau de revendeurs, ouvrent aujourd'hui en vente directe ces stores devenus stratégiques pour connaître ses clients.

Plus près de nous, Darty a montré la complémentarité des magasins avec l'internet dans le parcours client en développant le "clic & collect" pour aller chercher en magasin ses commandes en ligne et raccourcir encore les délais de livraison.

Même les startups ont leur store. Connaissez-vous Neoshopla boutique des startups lancée en 2013 à Laval et dont le modèle se développe en ce moment au Quebec ? Elle permet à de jeunes pousses de tester la vente de leurs innovations dans un vrai magasin et de se faire connaître avant de pouvoir aller taper à la porte des grands distributeurs.



Autre rupture: réinventer le back-office

Hello Bank a montré comment réinventer la banque avec un simple mobile pour les clients en terme d'expérience utilisateur.Le Compte Nickel a montré comment réinventer le système de gestion de compte, via des buralistes équipés d'un nouveau terminal connecté, les transformant en agences bancaires.
Enfin en Allemagne, la startup Number26 a aussi mis en place un processus d'ouverture de compte en un temps record depuis un mobile, mais est aussi en train de déployer Cash26 un système de paiement chez les commerçants et en faire des agences bancaires relais.

Ces pistes de nouvelle organisations sont testées depuis 2013.

Elles seront certainement aussi explorées par une Orange Banque issue d'un opérateur mobile qui a l'avantage de démarrer sans "legacy" pour son back-office. De quoi prendre de l'avance sur les banques traditionnelles qui n'auraient pas engagé la refonte et la simplification de leurs back-office pour s'adapter au monde numérique et réduire le coût client. Pour avoir récemment demandé un emprunt à un grand réseau bancaire, j'ai pu mesurer l'écart énorme, en délais et qualité de l'expérience client, qu'il y a encore en 2016 entre les agences et les centres de traitements ou de décisions en back-office.

Un boulevard pour celui qui saura réinventer les processus back-office et le SI qui va avec...
La fausse bonne idée pour Orange serait donc de recruter des managers en poste dans les back-office du secteur bancaire et qui seraient tentés de reproduire l'existant au lieu de le réinventer.

Les banques en ligne ont été construites dans les années 2000 par des consultants, anciens du secteur, sur la base de business plans ambitieux qui ne se sont pas totalement réalisés. Aujourd'hui ceux qui pensent différemment et qui peuvent réinventer un secteur sont rarement dans les entreprises de ce secteur.



Une idée pour Orange serait d'aller les chercher dans les startups de la FinTech, ou dans ceux qui contribuent au développement de cet écosystème comme The Family ou le NUMA (voir: Innover en startup ou en entreprise, une question d'équilibre). 
Des acteurs qui baignent tellement dans l'amorçage et les startups, qu'ils ont développé des approches d'incubation performantes pour transformer de façon agile une idée en réalité.

Cette démarche est agile car la carte de ce nouvel océan bleu n'existe pas encore et la meilleure destination n'est pas toujours visible depuis le port de départ. Il faudra changer de cap régulièrement en fonction des retours des clients et des récifs rencontrés.

Enfin dans les sujets de ruptures pour le domaine bancaire, GreenSI a abordé dans un billet récent celui de la blockchain : une "technologie de la confiance" promise à un bel avenir. Pourquoi ne pas l'utiliser pour inventer une nouvelle banque de dépôts ? 

Peu d'acteurs historiques ont déjà essayé de se réinventer à grande échelle avec le numérique.

On voit que dans les télécoms ça commence à bouger puisque Orange lorgne aussi sur la plateforme de vidéo à la demande de TF1, à la poursuite de Netflix sur les mobiles ; et que le nouveau Numergy-SFR, avec Michel Combes à sa tête, va annoncer sa nouvelle société le 19 janvier. Il est d'ailleurs invité le 25 janvier à la remise du prix DSI de l'année où il partagera sa vision du numérique.

Dans tous les cas si l'aventure Orange Banque se fait, elle sera certainement passionnante et GreenSI la gardera encore quelques temps sur ses radars.
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