dimanche 1 décembre 2013

Quand LOUVOIS se fourvoie, le Marquis est en émoi


Connaissez-vous le Marquis de Louvois?

Comme son titre l'indique, il est né de bonne famille et obtient dès ses 14 ans, de Louis XIV, la transmission de la charge de son père, secrétaire d'Etat à la Guerre.

Il ne l'exercera pleinement que 22 ans plus tard, mais assistera son père dans l'administration des Armées et notamment mis fin aux pillages des soldats. Des pillages qui étaient généralement "tolérés" par les officiers, à cause des arriérés de solde et le retard du ravitaillement, quand ils étaient sur le terrain. Et Louis XIV était un grand guerroyeur avec beaucoup de soldats sur le terrain, même si on le connait plus pour les fastes de son petit pied à terre versaillais.

Payez les soldats, organisez leur logistique et nourrissez les, ils n'auront pas besoin d'aller chaparder. Ce fut le programme du Marquis de Louvois. Une approche qui coule de sens, mais qui n'était pas toujours appréciée des officiers de terrain. Ils y perdaient de l'influence par rapport à une organisation centrale et ils ne pouvaient plus tirer avantage de l'écart entre ce qu'ils recevaient de cette administration et ce qu'ils reversaient aux soldats. Si, si...


Pauvre Marquis de Louvois!

undefinedIl doit se retourner dans sa tombe depuis 2 ans, depuis le passage à l'ère numérique de la fonction support de calcul de la solde avec le programme LOUVOIS (pour LOgiciel Unique à VOcation Interarmées de la Solde), sur la base des éléments fournis par les SIRH de chaque Armée et tout en garantissant l'unicité des pratiques et des calculs règlementaires de la solde.

LOUVOIS aura généré par ses bugs de calcul, un retour à la situation d'origine: des soldats "mal payés", qui doivent s'en remettre a eux même et à leurs garnisons pour trouver des "contournements", en attendant des rectifications qui tardent à venir.

Tout ceci, créant une désorganisation progressive du processus de solde, qui conduit cette semaine le Ministre de la Défense, Yves Le Drian, a stopper le programme LOUVOIS et à l'annoncer dans les médias.
Mais en professionnel de l'informatique, qui plus est lecteur de GreenSI, vous savez que cette annonce ne doit pas être prise au pied de la lettre et n'est qu'un discours vis-à-vis de l'opinion.

Sur le plan informatique, cela ne résout rien, bien sûr. Au contraire, c'est le lancement d'une nouvelle étape délicate et autant risquée que l'étape précédente.

Pour se sortir de cette situation, il va donc falloir continuer a faire fonctionner le logiciel défaillant, le corriger, et en réduire son périmètre cible en réhabilitant d'autres chaînes, quand c'est encore possible.
Puis commencer a auditer, urbaniser et revoir le périmètre complet du SIRH et de ses 5 systèmes différents qui étaient censés alimenter LOUVOIS : le services de santé des armées (Arhmonie) les premiers à basculer en Mars 2011, ceux de l'Armée de Terre (Concerto) et de la Marine (Rhapsodie) qui ont basculé en 2012, enfin l'Armée de l'Air (Orchestra) non encore raccordé et la Gendarmerie Nationale (Agorha).

Et bien sûr, LOUVOIS va continuer à coûter très cher, tant qu'il y aura des systèmes en double et du personnel supplémentaire pour rectifier les dossiers erronés, car la confiance dans ce maillon essentiel de l'organisation des Armées qui visait 400.000 militaires, a été entamée et il faudra bien la restaurer. Quitte à dépenser.


Steria, qui avait déjà été appelée pour cette mission d'assistance pour « aider à mettre fin aux dysfonctionnements de cette solution développée par un tiers » selon les termes de son porte parole, se trouve sous les projecteurs de l'actualité. 

Avec un questionnement sur son rôle exact, même si un rapport de parlementaire la mettrait hors de cause et qu'elle annonce qu'elle n'est pas l'auteur du calculateur défectueux (voir sur ZDNet Steria ne veut pas porter le chapeau).

Car on sait que quand la technique se mêle aux processus et à l'organisation, dans un programme aussi vaste et ambitieux, avec à la clef la création d'un opérateur national de la paye (ONP) en 2016, rien n'est simple et il est improbable que seule la technique (calculateur) soit défaillante. Surtout dans un contexte où in fine on est en train de basculer des fonctions proches de la gestion des soldats au sein d'Armées, a un système central plus "civil", en tout cas pas sous la hiérarchie directe des Etats Majors.

Mais le rôle global de Steria, société connue pour son activité de modernisation de l'Etat qui n'en est pas a son coup d'essai avec l’Administration, est loin d'être si limpide. Surtout si on fait référence à la fiche de "Success Story" reproduite ci-dessus, qui a été retirée depuis du site web de Steria, où GreenSI l'avait dénichée il y a plus d'un an au début des premiers "soubresauts", se disant qu'il y aurait peut être un jour un article à écrire.

Et sans équivoque, Steria y annonce développer le logiciel tout en mentionnant "powered by sharing", pas très clair tout ça.


En revanche, devant cette avalanche médiatique, le Marquis Francois Michel Le Tellier de Louvois, lui, a totalement disparu des suggestions Google quand on tape son petit nom. 

Un clin d’œil pour rappeler que dans notre monde noyé par l'information, qui ne peut être vu qu'au travers du prisme déformant de nos moteurs de recherche et réseaux sociaux, les réputations se font se défont très rapidement.



Revenons à la modernisation de l'Etat

Fin de programme, mais remplacer LOUVOIS par quoi?Sans parler des délais propres aux procédures d'appels d'offres de l'Etat, qui sont pensés pour protéger la commande publique, mais peuvent parfois lui jouer des tours quand le temps est compté et que l’obsolescence technologique va plus vite que les séances des commissions.
GreenSI est donc convaincu que dans deux ans, ce LOUVOIS sera certainement encore le paysage, avec des fossés tout autour, pour éviter de "contaminer" le reste du SIRH, mais toujours là. Ce qui nous laissera tranquillement le temps d'y revenir car ce type de dossier est généralement très riche en enseignements.

Mais espérons que d'ici là, un retour d'expérience, moins a chaud et plus objectif, aura été fait par l'Etat pour se poser les bonnes questions et démontrer que la longue liste des échecs des programmes informatiques de modernisation de l'Etat (Chorus, Dossier Médical Personnalisé, ... ) n'est pas une fatalité, et uniquement une manne pour nos SSII qui s'alternent à la manœuvre.

Cet effort a déjà été fait fin 2011 et les rapports publiés à l'époque sont certainement toujours riches d'enseignements qui n'auront pas profité à LOUVOIS, comme celui sur le pilotage et l'audit des grands programmes informatiques de l'Etat (73 pages).

Depuis que l'Etat s'est dotée d'une DSI, c'est certainement à la DISIC de jouer un rôle plus fort pour accompagner ces grands programmes et gérer leur externalisation auprès de tiers. Une DISIC qui a fait son bilan de deux ans d'actions cet été, et qui visiblement encore du pain sur la planche.
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