Le succès à l'air d'être au rendez-vous et de se traduire en signatures de sociétés qui "basculent leur informatique sous Google", comme le témoignent GRDF ou Lafarge. Et le choix de la salle de Mutualité, un haut lieu du militantisme politique qui donne le pouvoir au peuple (les utilisateurs, qu'ils soient gauchers ou droitiers), n'est peut-être pas un hasard ;-)
Même si le mail (Gmail) est le premier produit entreprise de Google qui vient à l'esprit d'un DSI, l'offre entreprise propose maintenant la bureautique collaborative (Google Docs), une plateforme de développement et d'hébergement dans le Cloud (App Engine), l'environnement de données cartographiques (Google Earth) et même du big data (Big Query). Autant d'alternatives pour devenir client de Google.
Alors ça y est l'entreprise adopte massivement les technologies grand public de Google?
La réalité dans les DSI est moins simple que cela
Le SI est bien sûr beaucoup plus vaste que l'offre. Et à part quelques TPE qui ont sous-traité la paye et comptabilité, les témoignages et les échanges recueillis, à la pause, autour des fraises Tagada, vont dans le sens qu'une partie de l'offre de Google est intéressante, mais aucun DSI n'envisage sérieusement de n'avoir que Google comme plateforme pour son entreprise.
Et donc arrive très vite et très naturellement la question de l'interopérabilité entre plateformes Cloud (Azure et Amazon par exemple) ou entre le cloud de Google et le SI de l'entreprise.
Mais reconnaissons que Google a gagné une première bataille dans l'entreprise, celle d'être considéré dans certains cas comme une alternative.
Et pas uniquement chez ceux dont l'informatique est dans un tel état de non-maîtrise, que Google apparait comme une planche de salut inespérée. Comme ce témoignage de DSI qui ne sait pas combien il a d'utilisateurs tant il y a de systèmes de messagerie différents à travers le monde.
Autre témoignage, pour Pascale Bernal, la DSI de GRDF, ce fut une surprise en interne de voir arriver le nom de Google dans les prétendants pour une application extranet de SIG (Système d'Information Géographique) pour consulter le réseau de gaz enterré et ses extensions.
Et une fois installée la solution Google Earth, ce projet fut perçu comme innovant par les équipes et l'adoption s'est faite toute seule. Pourtant, dans ce monde très fermé du SIG, avec des acteurs bien établis et souvent déjà internationaux, comme Esri ou SmallWorld, on ne s'attendait pas à ce que Google Earth, cette plateforme grand public, puisque venir chatouiller leur business modèle.
Mais qu'a donc de plus le généraliste Google que ces spécialistes n'ont pas? Et bien tout simplement les données. Et ce n'est pas prêt de s'arrêter avec l'exploration des fonds marins et de la planète par les caméras 360° de Google.
Et puis Google a quelques produits dédiés à l'entreprise comme BigQuery un système de requête "big data". Petite démo en live de ce dernier produit lors de la conférence: combien de fois le mot "innovation" est utilisé dans tout le contenu de Wikipedia? Réponse après 14s de calcul (un peu plus de 23.000 fois). On mesure mieux la capacité de calcul disponible en ligne et ses applications... si on accepte d'aller déposer ses données chez Google.
Alors les produits grand public seraient des alternatives dans l'entreprise?
Pour le collaboratif (mail, bureautique, réseau social....), le salarié étant le même quand il est au bureau et quand il rentre chez lui, l'idée que les outils grand public et professionnels collaboratifs vont converger en tout cas se compléter, est déjà bien répandue dans certaines DSI et sur le blog GreenSI.
Et puis ce domaine étant nouveau, toutes les offres adoptent progressivement les atours du Cloud et du SaaS qui font la force de Google. Et par là deviennent disponibles y compris depuis la maison ou les tablettes.
Dans la même veine, on retrouve le débat autour du BYOD (Bring Your Own Device), et donc le terminal acheté au supermarché du coin, plus puissant, et moins cher parfois, que les antiquités inscrites dans les contrats cadres de certaines entreprises. Va t-on maintenir longtemps du matériel spécialisé pour les communications dans les entreprises?
Mais dans les domaines métiers de l'entreprise, peu sont encore prêt à parier que les produits grand public sont crédibles. Et quand on dit métier, il y a les applications périphériques comme l'analyse de données, sa restitution sur le web et sur des cartes, mais il y aussi le cœur de métier. Là où quand l'informatique ne marche pas l'entreprise s'arrête, les commandes ne rentrent plus, les techniciens ou les machines sont désorganisés et les clients ne payent plus.
Peut-on sérieusement imaginer des produits grand public pour ces applications cœur métier?
La réponse de Google Entreprise est contre-intuitive. Elle est portér par Shailesh Rao, le directeur des nouveaux produits entreprise, qui est passé par SAP et Salesforce. Pour construire les produits entreprise, adoptez au contraire une approche "consumer first"! Pensez à vos clients au lieu de penser à vos concurrents. Pourquoi?Un nouveau produit chez Google c'est rapidement une centaine de millions de personnes qui vous donnent un retour: sur ce qui marche, sur ce qu'ils veulent, sur ce qu'ils en font... Dans Gmail c'est toute la démarche "Lab" qui vous permet de choisir des options non encore généralisées, et qui alimente Google avec une masse de données pour décider de les développer... ou de les abandonner. Un des risques que l'entreprise déteste.
Penser "consumer first" c'est se préoccuper de l'expérience utilisateur dès le début de vos idées. Et de tous les utilisateurs. Les jeunes et les moins jeunes, les digital natives et les geeks. Et non uniquement quand le produit est déployé et qu'il demande une conduite des changements pour qu'il soit adopté. Cette démarche n'est pas sans rappeler les approches de LeanIT (votre DSI est-elle prête pour le Zéro-gaspi (LeanIT)?).
D'ailleurs Google se targue de ne pas avoir besoin de formation sur ses produits.
Ensuite cela oblige à penser plateforme pour supporter la montée en charge. Et c'est là que l'expertise sur les infrastructures est mise à profit pour gérer la performance qu'il y ait 1 ou 1 million d'utilisateurs.
Simplifier les composants, économies d'échelle, plateforme performante mutualisée, expérience utilisateur... Google Entreprise s'appuie sur ces caractéristiques de produits grand public pour en faire une offre professionnelle. Avec des contrats dédiés, des revendeurs, un support spécifique et une réduction des coûts annoncée.
De bons arguments certainement, mais qui soulèvent des questions de GreenSI.
Résoudre l'équation de la complexité de l'entreprise
Car l'entreprise est moins simple qu'elle n'y parait.Et surtout que l'entreprise a horreur du risque et demande de la sécurité a son SI. Et parfois c'est même le régulateur ou l’État qui l'exige par la loi dans certains domaines. Pas que la plateforme de Google soit moins sécurisée qu'une plateforme interne, mais que son contrôle et son timing ne soit plus dans la main de l'entreprise.
Donc la vrai question, et peut être la vrai révolution dans l'entreprise, c'est dans quel domaine est-on prêt à simplifier, à inculquer un esprit nouveau pour accepter et gérer le risque et se réorganiser autour d'une plateforme que l'on ne maitrise plus ?
Dans les années 1990, James Champy auteur du best-seller Reengineering the Corporation, proposait déjà le re-engineering des processus, pour que l'entreprise les remette à plat et les réorganise. Ce qu'elle a fait ces 20 dernières années. Puis l'informatique, principalement les ERP, a "codé dans les applications" ces processus nouveaux. Mais force est de constater que l'évolution des processus est aujourd'hui rendue difficile par les outils qui ont aidé à les redéfinir hier: les progiciels. Surtout quand les standards ont été abandonnés pour du spécifique. Peut-être parce qu'ils n'étaient pas si standard que ça, mais aussi parce que les métiers voulaient conserver leurs processus. Et refaire la même chose avec une nouvelle plateforme ne présente pas un grand intérêt.
La question que nous pose Google finalement, c'est: "est-on prêt à faire l'inverse?"
Est-on prêt a prendre la plateforme comme elle est et a s'organiser autour? Puis a bénéficier de façon incrémentale des nouvelles fonctionnalités selon un calendrier que l'on ne maitrise pas.
Il y a certainement des domaines métiers où c'est envisageable en fonction de l'industrie dans laquelle on opère et d'autres où pour l'instant c'est difficile. Et cette question n'est pas posée à l'informatique mais aux métiers. Alors, demandons à nos maîtrises d'ouvrage de remonter sur le pont du paquebot SI.
Avec une seconde question corolaire: "Est-on prêt à partager une même plateforme avec ses concurrents?". Et a ne tirer son avantage que de sa capacité et de sa vitesse d'adaptation et surtout... de ses données. Car elles ne sont bien sûr pas partagées (vérifiez quand même le contrat !). Et là on ouvre la boite de Pandore des compétences des métiers autour du digital et de l'analyse de données.
Et donc de conclure avec une citation de Mark Zuckerberg, patron fondateur de Facebook: "The biggest risk, Is not taking risk".
Car la réponse négative a ces deux questions, et sans alternative, est finalement peut-être aussi une posture très risquée sur le moyen terme. Mais c'est aux métiers d'y répondre et de décider d'engager de réorganiser l'entreprise, ou pas, autour de ces plateformes. Car cette fois ci, contrairement aux progiciels, l'inverse ne sera pas possible.