samedi 17 mars 2012

Livre numérique: un petit village gaulois résiste encore et regarde passer les opportunités


Cette semaine et jusqu'à lundi, le 32em salon du livre se tient Porte de Versailles à Paris. Et bien franchement, le Conservatisme Roi, n'a pas encore été renversé, ni décapité par le peuple. La Cour du roi se pâme et se parfume encore dans les allées du salon, flattant un monarque fin politique, qui pour sauver sa royauté, passe des alliances avec tous ceux qui ont intérêt à ce que le système ne bouge pas.

Car loin de ce microcosme, la semaine d'avant, c'est l'Encyclopédie Britannica qui annonçait la fin de son édition papier après 244 ans de bons et loyaux services et nous rappelait que nous vivons dans un monde en cours de numérisation.
Il y a 6 mois, c'était Borders, la 2em chaîne de distribution de livres aux États-Unis, qui mettait la clef sous la porte. Le leader du marché, Barnes & Nobles, a depuis racheté la marque, le fichier client et la redirection du site Borders.com vers son propre site. Une fin "violente" pour avoir abordé trop tard le virage du numérique et de la vente des eBooks, sur un marché américain qui a explosé ces 3 dernières années et représente déjà 20% du marché du livre, soit à peu près $2milliards.


Amazon, qui s'est lancé dans la distribution de livres au tout début de l'internet (1995) n'a pas cessé d'innover et d'inventer un nouveau modèle de distribution. Le fameux paiement en un clic, les recommandations de livres, un réseau social de lecteurs, des boutiques de partenaires revendant au milieu de son magasin les livres d'occasions ou neufs ... et surtout une logistique et un service client d'excellence. Puis Amazon s'est lancé dans le livre numérique.
Cette année Amazon est au Salon du livre. Le 32em, un chiffre numérique (2 à la puissance 5). Est-ce le signe de l'avènement d'un nouveau pouvoir numérique qui va renverser la royauté?


Amazon est aussi le premier a avoir lancé une liseuse noir et blanc, le Kindle, il y a plus de 4 ans. Ainsi que le Kindle Fire l'an dernier, une tablette Androïd couleur à $200 qui se vend extrêmement bien et commence a concurrencer l'iPad dans les dernières analyses de ventes. La liseuse Kindle est très performante et surtout très abordable à 99€.
Quand un "Goncourt" vaut entre 20€et 30€ en librairie on se dit qu'avec un prix d'eBook à 15€ (entre $9,99 et $14,99 aux États Unis), c'est un achat amorti en 6 à 20 livres achetés. Et 15€ c'est cher par rapport aux coûts de production, car il est directement téléchargé sur son Kindle sans rien imprimer, sans réseau et sans logistique fonctionnant au gasoil! Que demander de plus écologique?
Bien sûr il y a aussi les droits d'auteurs mais la bascule du papier vers le numérique ne se fera pas sans se remettre autour d'une table pour regarder la valeur de chacun dans ce processus.


Et bien non, en France, tous les eBooks ne coûtent pas 15€. D'abord, il y a très peu d'offres des grands éditeurs qui font de la résistance et surtout c'est eux qui fixent les prix pour leur réseau de distribution. Ils se réfugient donc derrière le conservatisme roi qui a pu faire voter une loi de prix unique du livre, y compris numérique. Loi votée en catimini par les représentants du peuple... à qui on a d'ailleurs rien demandé. Et pourtant quand le même Goncourt arrive en format de poche, il coûte 7€ soit moins cher que le livre numérique. Allez comprendre quelque chose?


Et je vous le donne en mille, le livre numérique ne décolle pas en France et reste à moins de 1% du volume global des ventes (0,5% pour être précis). Comme le montre l'étude très complète du cabinet Kearney (que l'on trouve ici). Pourtant les facteurs de nature à développer ce marché sont bien présents et les pays anglo-saxons nous démontrent le potentiel de cette transformation:
  • un marché international qui mutualise les investissements dans les plateformes
  • une combinaison gagnante contenu + lecteur + magasin en ligne, la même qu'Apple avec iPhone + iTunes
  • des lecteurs de qualité (batteries, lisibles au soleil, choix tablette ou liseuse...) et dont le logiciel est mis à jour régulièrement avec de nouvelles fonctionnalités. Par exemple, la version de l'application Kindle sur iPad3 est sortie le même jour et exploite les caractéristiques haute définition de l'iPad3

Et bien non ça ne décolle pas!
Les contraintes que représentent les grands éditeurs sont plus fortes et "minent le terrain" en France comme ce prix unique, le choix de standards incompatibles ou de DRM bloquante. Il n'y a aussi peu d'efforts déployés pour convaincre les clients de passer au numérique, ni pour les rassurer sur la volonté du marché de développer une offre en français. Les grands distributeurs (Fnac Virgin, hypermarchés ...) faisant figure d'exception devant le silence des éditeurs.
De même pourquoi nos chérubins ont encore 7kg à 10kg de papier dans leur cartable sur le dos alors qu'un livre numérique ne pèse rien et quand les Conseils généraux les équipent de portables et maintenant de tablettes? Marché qui n'est pas passé inaperçu d'Apple avec une offre dédiée à l'éducation aux États Unis.


On ne peut s'empêcher de penser à l'industrie de la musique il y a 10ans qui s'est arc-boutée sur ses attributs jusqu'à se faire voler son marché par les pirates... Apple !

C'est vrai que les éditeurs sont plus paniqués par le piratage de leur catalogue que par les opportunités de développement de leurs ventes numériques. Surtout que les études montrent que les clients qui passent au numérique consomment plus mais payent moins.


Les sites pirates comme Team AlexandriZ commencent à apparaître; car la soif de ceux qui ont acheté une liseuse ne pourra qu'augmenter avec le temps si les éditeurs ne sortent pas leurs livres papiers en numérique pour l'assouvir. Surtout avec les livres libres de droits comme Voltaire, Balzac et Hugo!


Et sur ce terrain là, paradoxalement pour la France qui met la culture et le rayonnement de sa langue en point d'honneur international, c'est Amazon qui a le plus gros catalogue en français avec plus de 55.000 ebooks. Sachant cela il est amusant d'écouter les éditeurs qui nous parlent de leur leadership pour la diffusion de la culture française. Et n'oublions pas que l'offre en français se développera de toutes les façons avec... le Quebec, la Suisse ou la Belgique pour ne citer que quelques autres marchés de la francophonie.


Bien sûr Amazon a aussi un format propriétaire alors qu'il existe des formats ouverts comme ePub. Hachette, 6em groupe d'édition dans le monde, a annoncé au salon son ralliement à ePUB et non au format d'Amazon, ce qui va faire avancer le débat, et le bras de fer, sur les formats.
Mais pour GreenSI ce n'est qu'un combat d'arrière garde. Les clients peuvent déjà convertir d'un format à l'autre, y compris celui d'Amazon, avec des utilitaires open source gratuit comme Calibre. Cela protège leurs achats. Ensuite, in fine, c'est eux, le peuple et non le roi, qui feront converger tout cela vers un standard unique comme cela est déjà arrivé avec les formats des cassettes vidéos. Qui se souvient du format vidéo Betamax?


Enfin, la course à l'innovation n'est pas terminée :
  • Dans les usages: il est déjà possible d'emprunter les eBook dans certaines bibliothèques américaines. Triste d'ailleurs d'entendre dire des éditeurs français que les bibliothèques c'est pour les familles sans revenus (donc sans iPad?) et qu'ils ne voient pas d'intérêt de développer cette offre. Affligeant!
    Saluons l'initiative d'issy-les-Moulineaux qui prête des liseuses a ses abonnés de la bibliothèque municipale. La liseuse Booken est aussi disponible en France dans une quarantaine de médiathèques.
  • Dans la recomposition de la chaîne de production: A l'image de "My Major Company" dans la musique, pourquoi des lecteurs ne se regrouperaient-ils pas pour s'auto-produire ou auto-produire les auteurs qui leur plaisent. Il est déjà possible de télécharger ses propres livres sur la plateforme Amazon et de les vendre, moyennant une commission de la plateforme.
  • Dans l'enrichissement du format "livre": Qui a dit qu'un livre numérique devait être la copie d'un livre papier? Marvel par exemple, apporte réalité augmentée et une version numérique à ses comics sur papier. Pourquoi ne pas avoir la version audio intégrée pour les malentendants ou juste pour se relaxer, d'ailleurs un Kindle sait déjà lire un livre (en anglais).
Les prévisions tablent sur un taux de pénétration situé entre 6 et 7 % d’ici la fin 2014. La révolution se rapproche donc doucement de la Porte de Versailles et du palais royal. Mais Amazon n'est pas pressé, puisque c'est aussi la première librairie mondiale de livres papier. Donc pour Amazon ce n'est qu'une question de conversion des usages, du papier vers le numérique. Alors que pour ceux qui auront raté le numérique, ce sera certainement un transfert de la Galerie des Glaces à la Grande galerie des dinosaures du British museum, à coté de Borders et Britannica. Exposition 2015 qui sera certainement sponsorisée...  par Amazon ou Apple!

 
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