Le cycle de vie du logiciel et du bâtiment ont été les même, de la conception à l'exploitation.
Bien sûr l'informatique construit un système principalement virtuel (aux serveurs près), quand la construction fait principalement du physique bien réel (au logiciel de commandes près).
Que l'on construise du virtuel ou du réel la méthode serait la même ?
Ce choix a permis à l'informatique de réduire progressivement les taux d'échecs élevés de ses projets en industrialisant ses méthodes et en construisant sa gouvernance autour de cette séparation forte entre le "build" et le "run". Dans un monde où le mois, voir l'année, sont les unités de mesure des durées, et où le changement peut se contenter de ces délais, cette méthode était adaptée. Ce fut le cas dans le logiciel pendant 30 ans mais également dans le bâtiment.
Mais voici qu'aujourd'hui le domaine du bâtiment est engagé dans une transformation numérique majeure, le BIM (Building Information Modeling - dont GreenSI en a déjà présenté les facettes), pour adopter de nouvelles méthodes et une nouvelle gouvernance construites autour d'une maquette numérique partagée, à toutes les étapes de son cycle de vie.
Ainsi l'usage du BIM fait que le maître d'ouvrage comprend mieux l'architecture du projet, le maître d'œuvre orchestre mieux tous ses bureaux d'études et la sous-traitance. A la clef, dans un monde plus changeant et qui s'est complexifié avec le temps et l'empilement des normes, c'est la possibilité de prendre en compte au plus tôt les modifications, car leur impact financier augmente avec l'avancement dans les phases du projet. Ensuite l'exploitant du bâtiment peut en assurer la maintenance plus simplement avec les informations de la construction, et in fine la déconstruction en est simplifiée avec l'historique de la vie de chaque composant.
De plus, le développement du Cloud ces dix dernières années fait que cette collaboration peut se faire pour tous les acteurs sur une même plateforme, c'est l'Open-BIM, qui simplifie les échanges et dont les offres se multiplient comme GreenSI a pu le constater au salon BIMOC, pour BIM et Objets Connectés, qui s'est tenu à Dijon début juin.
Mais revenons au monde de l'informatique. Avec une complexité également croissante en nombre de terminaux et de technologies, on y retrouve aussi ces mêmes enjeux de délivrer plus vite, de détecter les problèmes le plus en amont, voir de construire de façon itérative à partir d'un "Minimum Viable Product". Certains ont déjà commencé à faire évoluer leurs méthodes vers l'agile pour y répondre. Mais posons-nous la question de ce que serait une maquette numérique dans l'informatique ?
Dans le monde de la construction, la maquette numérique relie le monde virtuel des données au monde réel des matériaux.
Elle créé également un continuum de données entre toutes les étapes et tous les acteurs de la méthode : conception, exécution, exploitation, maintenance et gestion du bâtiment.
En informatique ce continuum s'est développé sur une partie uniquement de la chaîne, entre l'exécution (le développement) et l'exploitation. C'est la démarche DevOps. Par exemple les scripts de mise en production sont écrits par les développeurs pour les robots de l'exploitant qui les exécutent. L'agilité, qui repose sur la collaboration, n'est donc pas si éloignée que cela du BIM, qui lui, repose sur une maquette numérique pour organiser cette collaboration.
Mais en informatique le partage des données et des référentiels est loin d'être unifié tout le long du cycle de vie des applications. A chaque rupture, les nouvelles équipes, quand ce ne sont pas les nouvelles personnes montées à bord du projet, arrivent avec leurs propres méthodes et réinterprètent ce qu'elles ont compris de l'équipe précédente, ou de la phase précédente. Dans ce monde, le tableau Excel non partagé a encore de beaux jours devant lui...
D'ailleurs GreenSI pense que la présence d'Excel dans les projets est certainement le meilleur "dry test" pour savoir si les équipes ont basculés dans l'agile ou pas ;-)
Imaginons maintenant que l'informatique veuille adopter "une maquette du système" avant de le construire, et de faire collaborer tous les acteurs autour de cette maquette pour sa conception et sa réalisation. Quelle serait cette maquette au sein de cette démarche, qui serait à l'informatique ce que le BIM est à la construction ?
Vous devez vous demander pourquoi avoir besoin d'une maquette numérique d'un système déjà numérique, mais ce serait oublier que les systèmes informatiques utilisent de plus en plus de hardware et d'objets connectés. Et plus les objets seront intelligents plus ils embarqueront du logiciel.
Demain (et déjà aujourd'hui pour certains) ils utiliseront des drones ou des véhicules qu'ils vont enrichir fonctionnellement ou permettre à de multiples acteurs de collaborer, par exemple dans les "smart city".
Le produit final informatique est donc composé de logiciels mais également de plus en plus de matériel embarquant du logiciel et interagissant avec d'autres matériels.
Alors comment tester un système informatique avec des objets réels ? On peut créer une maquette à l'échelle 1 du monde réel et l'utiliser comme environnement de test, ainsi des morceaux de villes ont été construit pour y laisser tourner des voitures autonomes et en tester le logiciel de conduit automatique. Mais c'est beaucoup plus simple de simuler ces objets réels dans un environnement virtuel !
On peut donc imaginer que les méthodes informatiques de demain vont devoir également se doter d'une maquette numérique de l'environnement physique dans lequel le système final va être utilisé. A minima pour avoir un environnement de test, au mieux pour en faire un système partagé entre les acteurs pour la construction de la partie logicielle avec une vision unifiée de l'environnement dans lequel il va s'exécuter.
Ceci n'est pas sans rappeler ce que proposent déjà les nouveaux environnements dit "low code", voir "no code", comme Mendix ou Appian, dont on a déjà parlé (voir billet : low code, une chance pour la DSI). Tous les acteurs, de la conception à l'exploitation travaillent sur la même plateforme avec des objets très simples qui sont manipulés en lien et place d'écrire du code.
En conclusion, pour GreenSI, un scénario d'évolution des démarches de construction informatiques serait la combinaison du "low code" avec la création d'environnements de simulation du monde physique, pertinents pour les applications.
Ce serait pour l'informatique une façon de répondre à une nouvelle évolution de la complexité, et une fois de plus de s'inspirer des méthodes de la construction en développement autour du BIM. Les méthodes agiles aujourd'hui limitées à quelques métiers, seront étendues sur l'ensemble du cycle de vie du système conçu, construit et exploité.
En revanche, ce qui est sûr, c'est que si votre modèle de gouvernance SI en est encore à la case des relations cloisonnées entre corps de métiers dont MOA et MOE, ou "build" et "run", vous risquez de vous retrouver les derniers à l'utiliser. Que ce soit la construction qui passe massivement au BIM ou ceux qui engagent leur transformation digitale, ce modèle semble de plus plus obsolète, dans le nouvel environnement économique.