mardi 3 avril 2018

Oui, le digital tue ceux qui ne s'adaptent pas


Cette semaine le Président Donald Trump s'en est pris ouvertement à Amazon, sur son média préféré Twitter, en l'accusant de tuer le commerce, d'exploiter le bien commun (en l'occurrence le système postal) et de ne pas payer assez d'impôts.

La réaction des marchés a été assez immédiate et l'action Amazon a dévissé de plus de 6%. Les boursiers "achetant la nouvelle" d'une période d'au moins 2 ans de guerre (le reste du mandat de Trump) entre les deux personnes les plus puissantes des États-Unis et ont parié contre Amazon.

En effet, Jeff Bezos est devenu en mars l'homme le plus riche des États-Unis en dépassant Bill Gates

Personne n'est dupe de la posture d'un Donald Trump qui n'aime pas vraiment le patron d'Amazon propriétaire du Washington Post, un journal plutôt "anti-Trump" pendant la campagne électorale américaine.
Mais sur GreenSI on peut quand même se poser la question des fondements du contenu de ce tweet.

En premier lieu, le service postal américain doit certainement avoir une statue en or de Jeff Bezos dans son hall d'accueil tant le e-commerce les a sauvé au moment de la chute du courrier postal. Les colis représentent l'activité en forte croissance et ils se sont diversifiés dans la logistique.

Lentement (20 ans) mais sûrement, l'internet à totalement réorganisé les modes de distribution des produits et services.

Les produits se dématérialisent industrie par industrie. Dans les loisirs, Netflix qui envoyait ses cassettes vidéo par le service postal dans les années 90 est aujourd'hui totalement doté d'une distribution en ligne.
D'ailleurs depuis 2015, Netflix est dans le cloud public... d'Amazon Web Services. Si vous aviez encore un doute sur la vision stratégique de Jeff Bezos, vous êtes fixés.

Netflix c'est l'exemple préféré de GreenSI pour parler de ceux qui expliquent qu'ils préfèrent posséder leurs serveurs, ou qui construisent des clouds privés moins automatisés que l'offre publique du marché. Mais c'est un autre débat.

La distribution s'hybride donc entre les réseaux physiques et les magasins en ligne, pour offrir la meilleure expérience utilisateur personnalisée et les délais de livraison les plus courts. La logistique de ces modèles se complexifie donc car elle repose sur des entrepôts moins centralisés et plus près des clients, par exemple un réseau de magasins en ville, comme pour le "drive", auquel d'ailleurs peu de grands distributeurs croyaient au départ.

Ceci va donc changer les flux logistiques et donc l'offre logistique des sociétés du secteur qui vont devoir s'adapter. C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre le partenariat annoncé cette semaine entre Monoprix et Amazon. Certes, Amazon a trouvé de quoi basculer encore plus de ventes (de frais) sur le modèle en ligne, mais surtout a trouvé le réseau des magasins Monoprix pour stocker les produits et délivrer au plus vite. Monoprix, lui, s'est également diversifié sur internet plus tôt dans l'année en faisant l'acquisition de Sarenza (vente de chaussures en ligne). Ceci va lui apprendre le métier de e-commerçant, un atout pour gérer sa future relation avec Amazon...

Ce modèle de la distribution du frais peut paraître une évidence aujourd'hui, pourtant cela fait plus de 15 ans que l'industrie le cherche !

La première figure du web à l'avoir tenté (trop tôt et en écoutant pas assez ses clients) c'était WebVan qui a fait faillite en 2001 après 5 ans d'opérations.
Imaginez une camionnette (van) reliée à votre souris pour vous livrer en moins de 24h, c'était la promesse que WebVan n'a pas su tenir en gagnant de l'argent malgré un management très expérimenté et une levée de fond record de 440 millions d'euros. Elle a été valorisée 1,4 milliards d'euros avant de faire faillite. Et à cette époque WebVan n'était pas seul à avoir essayé, les autres sont Kozmo, Peapod, HomeGrocer... ont eux aussi levés des centaines de millions de dollars et si vous ne les connaissez pas aujourd'hui c'est parce qu'ils sont morts depuis.

Amazon s'y est ensuite frotté avec Amazon Fresh et en est arrivé à la conclusion que d'avoir un réseau de magasins était la clef. Il a racheté WholeFood l'an dernier et s'est lancé dans des magasins Amazon Go d'un nouveau genre, pour encore mieux comprendre le comportement d'achat de ses clients en ayant leur accord pour les tracer pendant leurs achats en échange de ne plus attendre à la caisse.

Est-ce que Amazon tue le commerce comme le prétend le Président américain ?
La vérité est plutôt que les modèles du commerce qui ne s'adaptent pas disparaissent tout seuls car leurs clients se détournent d'eux. Fallait-il ne pas innover pour ne pas détourner les consommateurs ? Il est surprenant que ce soit le Président des États -Unis, pays qui a mis le capitalisme et le client au cœur de son modèle, qui pose cette question. 

Enfin, pour ce qui concerne les impôts, c'est bien le système d'imposition des produits physiques en vigueur sur la planète qui n'est pas adapté à cette numérisation des produits et des industries. Les bases de la fiscalité du numérique doivent être reposées.

À ce jeu-là c'est d'ailleurs le président américain qui semble avoir été plus rapide que les européens en taxant à 15% les centaines de milliards de bénéfices effectués partout dans le monde par les GAFAs, qui seront rapatriés prochainement aux États-Unis. L'Europe a lancé sa riposte (taxer sur le CA au-delà d'une certaine taille) mais elle a peu de chance d'aboutir. Et puis tant mieux car, comme pour le RGPD, cette riposte risquerait de faire plus de dégâts collatéraux dans les sociétés européennes que dans les sociétés GAFAs visées.

La transformation digitale du commerce passe donc par l'adaptation de sa logistique à la digitalisation partielle ou totale des produits. Les sociétés qui ne s'adaptent pas perdent des parts de marchés, et si ce n'est pas Amazon qui les capture ça peut être n'importe quel autre acteur qui a trouvé la clef d'une distribution rentable adaptée à sa base de clients.

Costco par exemple, distributeur américain, aussi installé en France depuis peu, est en croissance et résiste très bien à Amazon. Son succès : un modèle de magasins-entrepôts "low cost", un modèle d'abonnement des clients pour venir acheter (80 millions de porteurs de sa carte "Cash" dans le monde), et une animation très originale des magasins avec des "chasses aux trésors" pour dénicher les hyper-promos.

Chez Zara, c'est le modèle logistique "J-15" qui cartonne depuis 30 ans. Son fondateur, l'espagnol Amancio Ortega, est d'ailleurs la sixième fortune mondiale devant Marc Zuckerberg de Facebook, preuve que le commerce physique peut aussi monter très haut, très vite.

Sa vision "J-15" transforme une idée en produit étiqueté dans un magasin prêt à être vendu en 15 jours quand les concurrents en étaient à 4 collections par an. L'agilité, poussée à son paroxysme par Zara, fait que, comme pour les "chasses aux trésors" de Costco, le client a le sentiment que s'il n'achète pas aujourd'hui l'offre ne sera plus là demain. Et ça marche !

Dans les deux cas les magasins ont été transformés en portails avec des flux plus fréquents, voire en réseau social. Donc oui Monsieur le Président, le digital tue ceux qui ne s'adaptent pas et les formes pour s'adapter sont très diverses.

Pour l'instant Amazon a su s'adapter avec à chaque fois un coup d'avance, mais Amazon peut aussi rater la prochaine étape qui demandera une plus forte présence physique. En 2011, Catherine Barba (Fédération e-commerce et VAD), publiait un billet visionnaire sur la fin du e-commerce en 2020, ou plutôt la disparition entre le commerce en ligne et le commerce traditionnel. Et bien on y est !

En France, la chaîne France Loisirs tombe depuis quelques années de Charibde en Scylla et annonce cette semaine la réduction de 25% de ses effectifs, entraînant avec elle sa chaîne logistique - son prestataire Setralog basé à Noyelle-sous-Lens - qui va être contraint de réduire lui aussi ses effectifs de 20%. Pour parler de ce drame social, comme Donald Trump, le raccourci de la presse est "Amazon a tué France Loisirs".

France Loisirs avait pourtant une base de 4 millions de clients qui payaient un abonnement pour être membre du club, comme pour Costco, et pouvoir acheter les livres de la sélection. Une base de lecteurs dont les réseaux sociaux auraient rêvé il y 15 ans pour mieux comprendre leurs goûts et personnaliser la publicité. Mais cette base n'a pas été assez fidélisée et est passée à 1,5 millions avec le développement de nouveaux usages de l'Internet qu'elle pas su assez détecter et suivre.

Des usages qui ont aussi impacté les plus gros comme Carrefour et ses hyper-marchés où tout ce qui n'est pas alimentaire peut également s'acheter sur Internet, quand ce qui est alimentaire s'achète plus près. Il va falloir trouver de nouvelles idées pour faire venir les clients en hyper-marché. La Fnac depuis sa fusion avec Darty cherche également à résoudre le même problème mais sans la contrainte de l'alimentaire.

En revanche les magasins en centre ville, ou du moins près des flux de clients, eux prennent de la valeur. Pourtant France Loisirs, dont les e-commerçants ont pourtant vu depuis 2011 la force de son réseau de boutiques en centre ville, n'a pas su trouver l'évolution de son offre pour la rentabiliser. GreenSI ne serait donc pas surpris qu'une enseigne de e-commerce ne rachète prochainement l'enseigne pour ses boutiques.

Est-ce que Amazon a tué France Loisirs ? Je vous laisse répondre à la question vous-même mais pour GreenSI France Loisirs était en avance sur un modèle, aurait peut-être du changer le produit distribué en se rapprochant d'un e-commerçant.

En tout cas il est clair que la distribution vient d'entrer dans une période de forte transformation de son modèle et que les acquisitions vont se poursuivre pour qu'elle se réorganise à l'ère du digital.


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