dimanche 26 juillet 2015

Sortez un périscope au coeur de l'actualité

Periscope est une application mobile de streaming vidéo, rachetée par Twitter en mars 2015. Elle illustre la capacité de rupture, la vitesse d'évolution et les nouveaux usages du numérique dans le secteur des médias.

En février 2015, Meerkat débarque sur les mobile iOS uniquement. C'est un choix pour aller plus vite rencontrer son marché, et une première leçon de "lean" pour la DSI. Pourquoi lancer en bloc au bout de 12 mois une application sans aucun retour utilisateur, alors qu'un lancement partiel en quelques mois permet d'apprendre par les premiers retours et de réorienter la suite du projet?

Meerkat ça veut dire suricate en anglais, ce petit mammifère qui vit en groupes dans lesquels certains restent debout sur leur pattes arrières en sentinelles pour prévenir de tout danger. C'est un peu l'idée qu'il faut garder en tête pour comprendre ce que fait l'application.

Meerkat, c'est une application de streaming vidéo en direct (le petit suricate debout). Mais surtout Meerkat casse les codes de la vidéo sur internet: pas de stockage long terme comme sur Youtube ou Dailymotion, mais du temps réel pour donner les moyens à tous de filmer depuis son smartphone.
Et pour ceux (les petits suricates couchés) qui regardent sur leur mobile les vidéos émises en "live", de pouvoir interagir avec celui qui filme (le petit suricate debout) via des micro-messages. D'autres applications similaires existent, mais Meerkat a eu le coup de génie marketing de réussir à devenir l'attraction du salon South by Southwest (SXSW 2015) à Austin, en mars 2015 - dont GreenSI avait déjà parlé - en proposant aux participants de partager le salon avec le monde entier. 

Devant le succès rencontré, Twitter, le réseau social centré sur l'information temps réelle (lui aussi révélé au SXSW, mais en 2007), annonce avant la fin du salon, le rachat de Periscope (G sur la courbe). Périscope est l'un des concurrents de Meerkat, qui prends ainsi un sérieux avantage en étant intégré fortement au réseau social Twitter

Quatre mois plus tard, Periscope est largement devant Meerkat en nombre d'utilisateurs et de partage (voir article ZDNet de Benoit Darcy), mais surtout en terme de notoriété, comme en atteste cette analyse sur Google Trends :

 
Et ce malgré la riposte de Meerkat qui signe un accord avec Facebook en mai 2015 (C sur la courbe). Tout va donc très vite dans ce monde vidéo temps réel qui émerge pour permettre "d'explorer le monde au travers des yeux des autres", comme dit le slogan de Périscope.

 

Pour quels usages ?

Comme à chaque nouvelle application qui fédère dans le monde des centaines de milliers d'utilisateurs en quelques mois, ce qui est intéressant ce sont les usages. A quoi peut donc servir de "streamer" de la vidéo en direct depuis son smartphone? 

Et pour avoir testé en consultation et en streaming, depuis quelques semaines, la vidéo est de relativement bonne qualité... quand la prise de vue n'est pas trop amateur ;-)


L'intérêt est bien sûr pour tout ce qui concerne l'actualité.

D'où certainement le rachat immédiat par Twitter qui se positionne comme LE média mondial du direct et vise frontalement les CNN et autres chaines d'information en continu, via ses millions de membres et non via des journalistes aux 4 coins du monde. On peut noter aussi la vitesse de décision de Twitter quand elle s'impose. De nombreux groupes du CAC40 n'auraient à ce jour a peine lancé l'étude avec le cabinet "de conseil" payé pour enterrer le sujet ;-) 
 

GreenSI a pu constater que cette année les défilés du 14 juillet et les feux d'artifices de la veille ont été très couverts sur Périscope. Les usages démarrent donc aussi en France. 

Mais ce type d'application est aussi utilisé sur des événements plus tragiques comme vendredi 24 juillet à Los Angeles, un homme armé qui s'était barricadé dans sa maison encerclée par la police. Les témoins diffusaient sur Periscope.
Les vidéos "LIVE" sont encore visibles quelques jours après le tournage, ce qui permet de les partager sur les réseaux sociaux.

Les TVs et groupes de médias ont certainement une question a se poser sur cette capacité a intégrer dans leur stratégie de la vidéo temps réel filmé en direct par de simples citoyens

Par exemple jeudi 23 juillet, la visite surprise de François Hollande à l'Ecole 42, n'a pas été couverte par les médias, car... elle était vraiment surprise!
Visiblement aucun média n'avait été prévenu.

Mais sur Periscope, GreenSI alerté par Twitter, a pu la suivre quelques minutes car les élèves hyper-connectés de cette école d'informatique ont eu le réflexe de filmer l'arrivée du Président avec Xavier Niel (en blanc) et son parcours dans la "piscine" (où les élèves codent et dorment parfois...).

Ce qui pose la sempiternelle question que l'on a tous en tête à chaque 20h: "c'est quoi l'actualité?". Ce que les médias montrent à 20h ou ce qui se passe vraiment quelle que soit l'heure?
Meerkat, Périscope et Twitter sont en train de changer massivement cette perspective.

Mais la maîtrise d'un tel média, en direct et réparti sur n'importe qui et n'importe où, va être difficile. Elle pose les mêmes questions que les Google Glasses sur la vie privée, mais bizarrement aujourd'hui personne ne s'en offusque encore.

On peut trouver des règles de bonne conduite sur le site de Periscope qui laissent cependant perplexe sur leur capacité a être respectées :

Pourtant, avec le temps, GreenSI croit beaucoup a ce média comme un média de collaboration au sein d'une communauté. De pouvoir partager des moments en direct avec des personnes qui ont le même intérêt que vous. Surtout si à l'avenir ce média est relié aux autres réseaux pour permettre de bénéficier des "followers" que vous avez déjà en place, sans être obligé d'en recréer un nouveau.

Finalement l'idée de Meerkat au SXSW pour partager le salon est à garder. C'est un moyen de rendre accessible de partout sa participation a un événement physique, et plus simplement que les streaming des conférences par les organisateurs, quand il y en a... 

Certains utilisateurs de ces nouveaux outils font d'ailleurs visiter leur ville, ou la ville de leur déplacement. Ceux qui aiment le disent en direct en touchant leur écran, ce qui sur Périscope affiche les petits coeurs de la couleur du participant. Les commentaires sont à gauche et comme avec tout média mondial, ils peuvent être en n'importe quelle langue. 134 personnes sont en direct au moment de la copie d'écran, mais on peut ensuite retrouver la liste des participants et suivre (ou bloquer) ceux que l'on souhaite. 

Ce retour d'information sur l'audience des vidéos est bien sûr essentiel pour celui qui filme et lui permettra de s'améliorer et de rencontrer son public.

Les offices de tourisme devraient s'intéresser a cet usage, et se rapprocher, de blogeurs influents (il vaut mieux avoir une audience déjà établie) ou de personnalités, qui voudraient partager leurs visites de leur région.

Dans le même style, mais avec des visées plus politiques (au sens "qui traite de la Cité"), GreenSI a détecté de timides usages d'élus dans leur ville. Par exemple celui d'Anne Hidalgo, Maire de la capitale, qui depuis une semaine tourne sur Periscope des séquences sur son agenda dans la capitale: petit tour en Velib, visite de Paris plage, retransmission du discours du pape aux Maires lors de la préparation de la COP21, visite du beach volley devant l'hôtel de ville,...
 
Précisons que Anne Hidalgo n'est pas une novice dans le collaboratif, et utilise déjà beaucoup les réseaux sociaux, notamment Facebook, pour organiser des rassemblements citoyens, comme ceux pour décider des priorités de budgets d'investissements (budgets participatifs). Elle est donc très suivie sur Périscope car elle a déjà une audience "sociale" très large.

Cette participation des élus est une idée très intéressante et a encourager, puisque cela peut donner une idée plus concrète des sujets en cours dans la ville, et surtout, pour ceux qui regardent, d'interagir immédiatement et de donner un retour aux élus. On peut cependant conseiller aux élus de ne pas filmer que du paysage, mais de parler pour commenter et parfois de tourner la caméra vers soi pour montrer que ce n'est pas un "community manager" envoyé en mission, mais bien un(e) élu(e) engagé(e) qui est sur le terrain avec son smartphone ;-)

Twitter ne s'y est donc pas trompé avec son logo en forme de périscope géolocalisé, c'est certainement une application qui va redynamiser la relation de proximité. Ceux qui agissent sur un territoire devraient l'intégrer dans leurs réflexions. Et GreenSI y réfléchi pour couvrir l'innovation autour des systèmes d'information (à suivre...), alors peut-être à bientôt sur Périscope.

lundi 20 juillet 2015

Le Cloud, la ville et les citoyens

Explorer les relations entre le Cloud, la ville et les citoyens, était le thème de la conférence sur la ville intelligente, organisée par le Forum Atena le 8 juillet dernier. 

Animateur de la table ronde, GreenSI a choisi d'y revenir cette semaine pour illustrer la formidable évolution des usages qui va de pair avec la transformation numérique des villes.

Avec 2,2 milliards de personnes interconnectées via leur smartphone (+23% en 2014.), 4,9 milliards d’objets connectés en 2015, dont une majorité individuels, et 25 à 50 milliards annoncés en 2020 selon les estimations, le plus grand "rassemblement" d'humains sur la planète, c'est le Cloud.

En dix ans, le Cloud est devenu une place de marché globale autour de laquelle s'organisent les échanges, se creusent les inégalités (entre ceux qui y ont accès et les autres) et se redistribuent les cartes.

Un rôle que la ville a joué ces 2000 dernières années, quand elle s'est construite autour des échanges économiques, au carrefour des routes, et a développé sa propre sécurité, parfois même sa propre monnaie. Mais son modèle n'est devenu dominant que ces 200 dernières années, avec l'arrivée de nouvelles technologies (assainissement, eau, électricité...) rendant ce modèle "dense et vertical" efficace et tenable. En France, c'est 80% de la population (statistiques) qui vit aujourd'hui en milieu urbain.  

Cette première étape franchie, la ville de demain sera celle qui saura entrer en symbiose avec le Cloud. 

Pour cela, mobiliser l’intelligence de ses citoyens pour rendre son modèle durable et encore plus efficace. Car le Cloud, c'est à dire l'ensemble des services numériques et des données auxquels les internautes peuvent accéder depuis leur smartphone, leur ordinateur et leurs objets connectés, est en train de s'imposer pour produire de nouvelles formes d'organisations dans tous les secteurs. 

Dans les transports, au delà de la question de la remise en cause des réglementations existantes, il n'y a aucun doute sur le fait que, la géolocalisation des personnes et de l'offre, permet d'optimiser le système de transport, et donc, entre autres, de réduire la pollution.  Que ce soit pour prendre un taxi, connaître l'offre de transport en commun ou pour trouver la voiture partagée la plus proche.
La pollution, sujet majeure des villes qui revient régulièrement sur le devant de la scène, et cette semaine avec un rapport du Sénat qui en montre l'aberration économique. Alors pourquoi ne pas imaginer à moyen terme, des villes ne reposant que sur un parc de véhicules de transports partagés et mutualisés pour tous les habitants?

Dans les services de proximité, le prêt d'un appareil entre voisins (perceuse, tondeuse,...) est plus économique, pour son portefeuille et pour l'environnement, qu'aller en voiture en louer un à 40 km, puis le ramener 2h plus tard. Surtout que ces appareils sont utilisés un faible pourcentage de leur temps. L'économie du partage, c'est souvent celle du bon sens.

C'est donc de la capacité non utilisée qui est in fine proposée, au lieu de produire un nouvel équipement, et d'utiliser plus de ressources. Quand on y réfléchi, la densification des villes n'a pas encore exploité la surabondance des équipements (amenés par les habitants) par rapport aux besoins globaux. Une approche qui d'ailleurs n'est pas sans rappeler l'origine du... Cloud!
Et oui, quand on possède ses propres datacenters, ils sont dimensionnés "sur la pointe", et en général utilisé à moins de 50% de leur capacité. Pire, ces serveurs sont alimentés 100% du temps, car on a pas encore inventé le serveur "start & go" comme dans l'automobile. Une capacité non utilisée, qui a donné l'idée à Amazon, au départ un simple libraire sur internet, d'imaginer AWS (Amazon Web Services) pour partager cette capacité inutilisée et développer un nouveau modèle d'hébergement mutualisé, depuis devenu célèbre et générant une bonne partie de ses revenus.

 

Le Cloud et la ville ont donc beaucoup à partager. Avec au moins deux impacts qui ont été débattus lors de la table ronde rassemblant des élus, des "aménageurs" du territoire, physique ou numérique, et des startups (qui seront cités par la suite):
  • la fin des cathédrales technologiques centralisées
  • le rôle de l'économie collaborative

La fin des cathédrales technologiques centralisées

La ville a abordé, ces 10 dernières années, sa transformation numérique avec l'organisation de véritables "schémas directeurs" d'évolution vers des "villes intelligentes". S'appropriant le terme "Intelligente", ou "smart", pour mettre en avant le potentiel d'optimisation de son modèle qu'il lui reste à optimiser avec le numérique, après avoir organisé presque totalement l'espace physique.

Barcelone et Montréal, par exemple communiquent largement sur cette transformation engagée des deux côtés de l'Atlantique. Car c'est bien de l'optimisation d'un modèle d'organisation dont on parle.

Mais l'image (communiquée par les premiers projets) du "Centre de Commande" qui contrôlerait tout dans la ville, via la technologie et la collecte de toutes les interactions qui seraient analysées en temps réel, est en train de s'estomper.

Une illusion entretenue, sans surprise, par les budgets marketing des vendeurs de technologies comme IBM ou Cisco, pour ne citer qu'eux.

Le Cloud et ses économies d'échelle, montre que les capteurs, les réseaux et les citoyens connectés sont bien dans la ville, mais que les services se développent plus facilement dans le Cloud, parfois à l’échelle de la planète. 

Et puis comme nous l'a rappelé Carlos Moreno dans sa keynote, la révolution informatique n'est qu'une des quatre révolutions en cours qui transforment le monde et la ville de demain. La robotique ou les nanotechnologies auront certainement aussi un rôle à jouer dans le modèle de la ville du futur et amèneront surtout une perspective beaucoup plus décentralisée.
La question pour la ville, n'est donc pas de construire son "centre de commande" centralisé et ses services, mais de s'assurer qu'elle est bien "cloud ready" pour bénéficier des prochaines innovations qui vont déferler de cette plateforme de services. 

Cloud ready: c'est à dire vérifier que, du citoyen à l'accès au Cloud, il y a de moins en moins de barrières pour développer, partout, de nouveaux usages avec de nouvelles plateformes de services. Les retours d'expériences des dernières années montrant que la difficulté principale est bien au niveau de la participation citoyenne, et de la réduction de la fracture numérique. C'est donc sur ce terrain que l'élu doit maintenant convaincre, évangéliser et lever toutes les barrières.

L'excellente nouvelle amenée par cette vision est pour les villes de tailles intermédiaires. Celles qui n'avaient pas les moyens de suivre la surenchère des budgets des premiers projets de "Smartcity". Car elles vont pouvoir accéder a des plateformes mutualisées, en développer localement les usages, et sans en payer totalement les investissements. 

Et pour sensibiliser ces villes aux enjeux du numérique, Pascale Luciani-Boyer, élue à Saint-Maur des Fossés et membre du Conseil National du Numérique, a compilé un ouvrage qui se veut éclairant pour les décideurs politiques et administratifs de la puissance publique: l'élu(e) face au numérique.

Un ouvrage qui fait prendre conscience aux élus de l'évolution demandée des compétences territoriales, depuis les NTIC, en passant par les TIC et vers le Numérique, consacré par la formule "Tous pour Tous". 


L'économie collaborative pour prendre le relais

Car pour le développement des usages et la construction des services, des organisations citoyennes (comme Metropop) ou des startups, sont en train de s'emparer de certain sujets, avec les moyens et les méthodes de l'économie du partage et de la participation des citoyens. Des acteurs qui comprennent bien le mobile, le collaboratif, l'expérience utilisateur et demain les objets connectés, et qui se concentrent sur la création de liens, de valeur et de relations de proximité. Le lien entre le local et le Cloud, cette connexion de la ville et de ses citoyens à la plateforme d'innovation que le Cloud représente.
Chez Welp, le premier site d'entraide gratuit entre particuliers qui lance cette semaine sa campagne décalée "Welp une mamie", c'est Marie Treppoz qui  nous explique que son projet repose sur l'idée de créer du lien entre personnes, entre générations. 

Une façon de retrouver l'entraide naturelle entre les habitants qui s'est peut être perdue dans le modèle de la grande ville. Vous voulez aider, allez vous inscrire sur le site. Vous cherchez de l'aide (pour vous ou un proche) allez vous mettre en relation. En cette période de canicule et de vacances, on comprend bien le service amené et délivré par les habitants avec ce type d'initiatives.

Chez Kawaa, pour Corinne Dardelet, le message est clair, on est là pour créer des rencontres dans la vie réelle! La technologie, via une plateforme, est donc mise au service de la relation et de la communication de proximité. Tordre le coup à l'idée que les réseaux sociaux ne créé pas de "vrais" relations. Une idée ancienne mais dont le modèle s'affine, et surtout nous propose des alternatives aux grandes plateformes américaines reposant uniquement sur la valorisation des données personnelles.

Des acteurs du privé comme SoLocal (ex. Pages jaunes) se lancent d'ailleurs dans ces services de proximité avec Hamak, a l'instar d'Amazon qui réalise des expérimentations dans plusieurs pays.

On mesure pour les villes, le potentiel de reconnecter toutes les initiatives locales existante, et toutes les communautés locales, a ce type de plateformes. Et celui d'éviter que chaque association, ou chaque comité de quartier, réinvente ses propres outils, avec peu de chance qu'ils atteignent le seuil de la masse critique.
 
Le rôle de la municipalité est donc certainement clef pour encourager, montrer la voie, mais aussi être exemplaire en utilisant ces plateformes pour ses propres actions (sociales ou pas). A Issy-les-Moulineaux où s'est tenue la conférence et où tout ou presque a été expérimenté autour de "Smart City", c'est l'orientation prise par Issy-Média, avec Eric Legale son Directeur Général, qui stimule toutes ces initiatives et ces innovations pour faire émerger les "Smart Citizens".

La force de "la multitude" et de ses citoyens connectés permettra à la ville de mobiliser l’intelligence de ses citoyens. 

C'est dans ce sens et vers le Cloud que les projets de villes intelligentes vont certainement réorienter une partie de leur efforts à l'avenir. Car l'économie collaborative est aussi pour la ville un moyen de valoriser les initiatives de chacun (réduction des déplacements, lien social, temps gagné, économies,...) et donc d'amener un modèle économique, et non technologique, à la ville intelligente.

lundi 13 juillet 2015

Les API au coeur de la valorisation de l'entreprise numérique

Le 9 juillet, s'est tenue la 5em et dernière matinée de l' #APIConnection, sur le thème de la valorisation et des APIs. Une conférence où les différents modèles de revenus associés aux APIs ont été explorés. Car dans une économie numérique, les APIs sont stratégiques dans la transformation digitale, mais jouent aussi un rôle clef pour matérialiser la valeur de ces nouveaux échanges économiques.

Pour CXP-PAC, qui a actualisé son enquête sur la maturité numérique des entreprises, le taux de réponse à la question de la monétisation des APIs est passée de 5% à 12% des entreprises en 5 mois (entre la 1ère API Connection et la 5ème). Montrant par là, la prise de conscience très rapide des entreprises françaises à la fois sur les APIs et sur leur valeur.

Exemple de stratégie APIs des GAFAs

Le site ProgrammableWeb recense à ce jour 13.702 APIs publiques. Les 10 APIs les plus réutilisées pour écrire de nouvelles applications sont celles de Facebook, Google Maps, Twitter, YouTube, AccuWeather, LinkedInAmazon Product Advertising, Pinterest, Flickr et Google Talk.

Sans surprise, on retrouve dans cette liste les leaders du B2C qui ouvrent leurs APIs à d'autres entreprises pour valoriser le contenu qu'ils accumulent. Par exemple intégrer des photos (ex. Flickr) et vidéos (ex. Youtube), ou vous laisser développer des jeux ou des applications sur leurs plateformes (ex. Facebook, GoogleMaps). 

Twitter, dont l'API est disponible à l'adresse dev.twitter.com, a dès le début ouvert les APIs de sa plateforme à tout ceux qui voulaient créer un nouveau "client" pour consulter les tweets ou développer des modules sophistiqués d'analyses de tweets. 

Ce qui a permis une croissance très rapide du réseau Twitter et l'accès à de "l'open innovation" (comme l'ajout de photos dans les tweets, imaginé hors Twitter). Mais en 2012, Twitter a commencé à "fermer son robinet" à tweets pour ramener les utilisateurs sur ses propres applications clientes sur PC ou sur mobile. En complément, Twitter a racheté les plus populaires comme Tweetdeck ou Tweetie pour éliminer la concurrence, et regagner la relation directe avec ses utilisateurs.

Google a aussi exploité l'ouverture de ses APIs cartographiques, puis changé son fusil d'épaule quand il a rendu payant l'accès à GoogleMaps. Ce qui a provoqué la migration de certaines applications vers les APIs d'OpenStreetMap (en open source). 

La maitrise de l'ouverture (et de la fermeture) des APIs est donc un aspect très stratégique du développement des GAFAs. Une question qui dépasse la question du système d'information et donne une opportunité (de plus) aux Directions Générales de s'intéresser à un sujet qui n'est pas que technique.

Quelle valeur pour les APIs ?

La valeur d'une API pourrait se résumer par la formule suivante (proposée par GreenSI):
Pour réussir à monétiser des APIs, les capacités de la plateforme vont bien sûr être nécessaires, mais pas suffisantes.

Il faudra aussi un modèle économique, une capacité à les exposer auprès du maximum d'applications, notamment sur différents terminaux, et en faciliter l'adoption. Par exemple avec un site développeurs et l'animation de communautés. 

Pour le dire différemment, la meilleure plateforme ne rapportera rien à l'entreprise sans un modèle économique, et une stratégie marketing affirmée. Le modèle économique pouvant être le gratuit pour accélérer une croissance, ou la commercialisation d'un droit d'usage de l'API, par abonnement fixe ou proportionnel au trafic. Mais on peut aussi imaginer un modèle indirecte où tout un eco-système se rémunère sur la valeur des échanges, comme dans le cas de Cookpad, discuté lors de la table ronde.

Cookpad c'est le "marmiton américain". Mais contrairement à Marmiton, propriété d'un groupe média, il ne valorise pas son contenu (les recettes de cuisine) par la publicité ou une revue en kiosque. Cookpad enrichi son contenu dans un réseau social et l'ouvre avec ses APIs. Les restaurants et la grande distribution peuvent valoriser les tendances d'usages des produits et les recommandations des cuisiniers, ils vont donc devenir des sources de revenus pour Cookpad.
 
Ce contraste entre Marmiton et Cookpad, démontre qu'une base de donnée peut se valoriser de plusieurs façons possibles. L'entreprise a donc le choix pour définir sa stratégie.
 

Dans les exemples de valorisation des APIs que nous avions déjà pu étudier lors des matinées précédentes, le cas de LaPoste et de ses services d'identité ouverts aux développeurs, et le cas d' Orange qui ouvre l'accés à ses clients aux services innovants de startups.

On peut aussi aborder les APIs sous l'angle de la valorisation des données pour créer de la valeur en les exploitant, les consolidant, les croisant ou les analysant. Surtout si ces dernières permettent de développer de nouveaux services ou de réinventer des services existants, et d'amener ainsi une possibilité de transformation du modèle économique. 

La valorisation des APIs semble conduire sans détour sur la valorisation des données de l'entreprise. C'est donc certainement un bon point de départ pour définir votre stratégie APIs et imaginer les pistes que votre entreprise et son système d'information pourraient prochainement parcourir.

dimanche 5 juillet 2015

Avec le numérique, allons-nous évoluer?

Le numérique va t-il faire évoluer la race humaine? D'ailleurs n'est-ce pas déjà bien engagé?

La question peut paraître étrange. Le numérique n'est qu'une externalité à l'homme, qu'il a créé lui même et qu'il maîtrise, du moins pour l'instant.

On est donc certainement encore loin de la théorie de Charles Darwin et des lois de l'évolution des espèces, qui amèneraient d'ailleurs la perspective de la sélection naturelle. Les humains les plus adaptés au numérique deviendraient dominants, et les autres vivraient, soit dans des zones moins exposées, soit tout simplement s'éteindraient.

Cela bien sûr sur des millions d'années. Mais comme une étude britannique publiée cette semaine prévoit la fin de notre civilisation en 2040, pas à cause du numérique mais des ressources, cela laisse finalement peu de place (25 ans) à ce scénario pour se développer.On ne va donc pas trop s'y attarder.

Et puis avec le numérique l'homme a l'air de vouloir prendre de l'avance sur la nature et avoir envie de s'adapter.

Il est indéniable que nous adaptons nos comportements au numérique, à la mobilité, à l'ubiquité qu'elle nous donne et à tous les nouveaux outils que nous utilisons.

Tout a été dit dans l'excellent ouvrage de Michel Serres, "petite poucette". Nos sociétés occidentales ont déjà vécu deux révolutions: le passage de l'oral à l'écrit, puis de l'écrit à l'imprimé. Comme chacune des précédentes, la troisième, le passage de l'imprimé à l'information ambiante, tout aussi décisive, s'accompagne de mutations politiques, sociales et cognitives. 

Avec l'information toujours accessible faisant de nous des actifs et des interactifs, les jeunes doivent tout réinventer. Pour Michel Serres, un nouvel humain est né, la "petite poucette" (avec son pouce elle commande son smartphone).

Un humain à l'aise dans les données et qui saura déjouer les algorithmes qui cherchent à lui ôter son libre arbitre. Qui saura comment réserver un voyage à l'autre bout du monde, et se faire passer pour un autochtone (via son IP), pour obtenir les meilleurs prix. Et peut être qu'il saura aussi comment garder un minimum d'intimité face à des Etats et des acteurs, de plus en plus intrusifs dans sa vie privée.

Plus profondément, le numérique agit sur nos émotions, par la connaissance que nous avons de ces outils et des implications de telle ou telle situation. Qui n'a pas jamais ressenti un sentiment de sécurité quand il se déplace car il a sur lui son smartphone. Tout peut lui arriver, car il va pouvoir communiquer, obtenir de l'aide ou des informations, se géolocaliser, voire se faire géolocaliser en cas d'accident, au ski par exemple. Réciproquement qui n'a pas ressenti un frisson de panique quand 10mn après avoir quitté son domicile on réalise qu'on a oublié son smartphone... 

La bonne nouvelle, c'est qu'il y a un espoir pour que ces émotions puissent nous aider aussi à sentir les dangers du numérique.
Quand on reçoit un mail avec une pièce jointe d'un ami éloigné, quand votre banque vous annonce qu'elle vous rembourse un prélèvement en double (à moins de jouer au Monopoly avec sa banque!) ou quand on se prépare à taper son numéro de carte bancaire sur un nouveau site marchand, par exemple. Sentir le danger peut nous apprendre à adopter les bons comportements.
Passez une journée à surfer avec quelqu'un qui sait protéger son identité (un hacker par exemple), et vous découvrirez tout une panoplie de réflexes à acquérir pour utiliser tranquillement votre ordinateur ou smartphone sur Internet. Le premier étant la session de navigation privée systématique avec votre navigateur. Qui le fait? Sentez-vous une fois réellement en insécurité sur une session non privée, et vous le ferez ensuite sans même y penser. 

Il faudrait maintenant "vivre" cette insécurité pour la comprendre et l'adopter. Peut être que les "serious game" ont un rôle à jouer pour arriver à utiliser nos émotions et renforcer nos comportements sécuritaires, notamment dans les entreprises (exemple de jeu pour sensibiliser à la sécurité: The Fugle). Une bonne émotion vaut peut être mieux que de longs powerpoint.

Les travers de ces adaptations sont aussi souvent mis en avant. Comme celui de l'influence permanente de l'information et la perte de l'attention. A tel point que des travaux, dont celui de Michael Carr un an avant Michel Serres, analysent la mutation de l'oral à l'écrit, puis au numérique, et posent régulièrement la question de savoir si "Internet rend bète?"

Car la révolution informationnelle, qui se traduit par le big data, aurait aussi un impact sur notre cerveau. Tout le monde ne lit plus de façon linéaire en étant absorbé par le texte, et en s'immergeant dans le monde de l'auteur. La pratique du zapping au sein d'un terminal, et maintenant du multi-terminaux, nous plonge dans un bombardement d'informations et d'alertes traitées par notre cerveau. Or notre cerveau s'adapte très vite pour gérer ce flux et réduit ses efforts sur l'attention.

Ce n'est pas prêt de s'arrêter si on en croit un article de retour d'expérience d'un mois d'utilisation de l'Apple Watch. L'usage qui arrive en tête, et justifierai le prix de ce bijou aux yeux de ses utilisateurs, serait... les alertes pendant les réunions ou au volant (quand on ne peut pas sortir son iPhone de la poche).

Or si la capacité à se concentrer dans la lecture est la base de nos méthodes d'apprentissage, on peut comprendre assez rapidement que notre système éducatif va devoir prendre un virage. Un peu comme si l'école de Jules Ferry avait refusé le livre et était resté à la tradition orale (ce qui est encore la base pour les peuples dont la langue ne s'écrit pas). 

Notre smartphone étend donc la capacité de notre cerveau, par l'accès à l'information et à la communication en permanence, mais aussi par l'ajout de nouveaux sens, comme la capacité à se géolocaliser. Et ce smartphone ouvre la route aux objets connectés qui vont s'y raccorder, décupler le nombre de capteurs, offrir une nouvelle acuité à cet homme augmenté.
 
On pense souvent à ceux qui ne vont pas s'adapter. On oublie souvent ceux qui n'étaient pas adaptés au monde précédent.

Parce que leur mémoire était déficiente, que leur écriture était déformée par une dyspraxie ou une dysorthographie, et que tout simplement ils étaient handicapés dans le monde de l'écrit et de l'attention. Pour eux, cette nouvelle orthèse qu'est leur smartphone ou leur clavier, leur permet de réaliser aujourd'hui des choses qu'ils ne pouvaient espérer atteindre il y a peu de temps.
 
Et ce billet ne serait pas complet sans citer le très controversé mouvement transhumaniste qui considère que certains aspects de la condition humaine tels que le handicap, la maladie, ou la mort, comme inutiles et indésirables. Des transhumanistes qui comptent sur la technologie (pas uniquement de la communication et de l'information, mais aussi les biotechnologies), pour mettre en œuvre leur utopie. Un homme augmenté symbolisé par le H+ (les chimistes les excuseront de cette récupération).

Les pistes de l'évolution de l'homme par le numérique semblent donc bien tracées. A nous de suivre les bonnes.

L'humour de ceux qui aiment le numérique